De A à Z
Élidé, contracté, masculin, féminin, de chasse, de pêche, de mode, de foi, de loi ou de presse, l'article est toujours déterminant.
Imaginez un instant quelqu'un qui s'adresserait à vous ainsi : « Où est boutique ? » ou encore : « Regardez fenêtre de maison bleue. » Vos yeux s'écarquillent, que se passe-t-il ? Quel est ce langage ? Le nôtre. Il y manque une seule chose, les articles. Aujourd'hui, en grammaire, on ne parle plus d'articles mais de déterminants et ce qualificatif devenu nom, est loin d'être usurpé.
A comme Articles
C'est d'abord un mot. Rappelez-vous, à l'école primaire : le, article défini, masculin, singulier ou, une, article indéfini, féminin, singulier. Minuscule, juste placé devant le nom, il en détermine le genre, le nombre, lui conférant même précision ou imprécision. Difficile à prononcer quand il précède une voyelle on se permet de l'élider, choquant à l'oreille on se doit de le contracter. Il est à la fois l'articulation et l'outil indispensable au sens de la phrase. C'est aussi un objet d'enthousiasme pour les coquettes, les magasins branchés regorgent d'articles de mode. Pour le chasseur, fusils, cartouches, gibecières (vides le plus souvent), sont des articles indispensables. Le juge qui rend sa sentence, justifie toujours son verdict en s'appuyant sur un article de loi. Et si le serpent rencontré par nos aïeux au jardin d’Éden n'avaient pas eu la langue si bien pendue pour faire l'article et vanter sa pomme, peut être la face du monde en eût-elle été changée... Vraiment déterminant l'article. Pour le journaliste l'article de presse, c'est le credo, la rencontre avec les lecteurs, la possibilité de partager des idées, des passions, des coups de gueules, des connaissances. Un article c'est un processus, une mise en scène, un fleuve. D'abord le titre. Bref, incisif, il attire l'attention, fait naître la curiosité. Il jaillit comme l'eau sourde de la montagne. Ensuite vient l'accroche, minuscule ruisselet entre les pierres, le lecteur y jette un coup d’œil, elle l'étonne, le met en appétit, le laissant cependant un peu sur sa faim. Voilà l'attaque, quelques précisions supplémentaires, une ouverture annonçant le contenu à venir. Le cours d'eau s'étoffe, bondit entre les galets, on y devine toute une flore à naître. Enfin c'est l'article lui-même, les faits sont énoncés, les arguments s'ajoutent aux arguments, images et comparaisons les rendent de plus en plus évidents et crédibles. Le torrent devient rivière, l'écriture devient fluide. Le lecteur progresse dans le texte, intéressé, passionné, dubitatif parfois, toujours porté par le courant. Pas à pas la chute approche, la rivière s'est élargie, le lecteur tenu en haleine est en attente et le fleuve débouche enfin sur la mer en une ou deux phrases porteuses de réponses et de clins d’œil sur l'avenir. Plaisir du moment, questionnements, prises de conscience, l'article s'ouvre sur l'universel comme le fleuve apporte son eau à l'océan.
Z comme Zola
Zola l'écrivain, mais aussi Zola le journaliste de L'Aurore dont le A de j'Accuse reste synonyme de l’excellence journalistique par sa facture certes mais surtout par son rôle décisif dans le triomphe de la justice. Déjà, en mai 1896, scandalisé par l'expression « problème juif » Zola s'était insurgé contre toutes les discriminations en publiant un texte intitulé Pour les Juifs. En 1898, à l'annonce de la condamnation du lieutenant Dreyfus, l'auteur, hors de lui, se jure de réveiller les consciences dans une Lettre ouverte au Président de la République. Clémenceau, l'éditorialiste du journal, hésite devant cette remise en cause des institutions. Mais après avoir découvert le contenu de l'article, il se contente de dire : « C'est immense, cette chose-là ! » Cependant le titre est trop long. C'est encore Clémenceau qui trouve la solution : « Vous cherchez un titre ? Zola vous l'a donné dans sa péroraison : J'accuse. » En effet il accuse. Au nom de la loi sur la liberté de la presse, il met en cause nommément le ministre de la guerre et le chef d'État-major de l'armée. Pour lui, la sanction est immédiate. Il doit s'exiler en Angleterre. Mais le ver est dans la pomme, le doute instillé dans les esprits. Le réveil des consciences a sonné, déclenché par un article de journal. Sa force ? Conviction, honnêteté, simplicité. Son but ? Faire comprendre en trois temps trois mouvements. D'abord un flash-back sur les événements, procédures et condamnation. Puis coup de théâtre, découverte du vrai coupable. Et enfin dénonciation de la collusion des pouvoir publics aboutissant au double crime : condamnation d'un innocent et acquittement d'un coupable. Il ne lui reste, dans sa péroraison, qu'à montrer du doigt et du mot ceux qu'il considère comme les responsables et à leur asséner son terrible J’ACCUSE.
N'est-ce pas là un article aussi déterminé que déterminant ?
Dany Guillon