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Guillebaud

Il est venu à Bordeaux, à l’Athénée municipal, le mercredi 8 octobre 2014, invité par l’Université du Temps Libre.

Ceux qui connaissent Jean-Claude Guillebaud par ses écrits dans les journaux et ses nombreux livres sont venus dans le grand amphithéâtre, plein à craquer. Il amuse l’auditoire par cette anecdote : pendant une nuit bien arrosée, avec un ami, jeune journaliste comme lui, au quotidien Sud Ouest, ils décident, en 1969, de faire un livre sur Chaban-Delmas, premier ministre. Après un an d’enquêtes, ils obtiennent l’interview et commencent par une interrogation déstabilisante, ce qui a permis la poursuite des questions-réponses.

Jean-Claude Guillebaud précise que mai 1968 a été responsable de l’arrêt de ses études de droit au bout de 6 ans et son entrée en journalisme à Sud Ouest, puis au Monde et au Nouvel Observateur. Il est aussi écrivain, essayiste et chroniqueur à l’hebdomadaire La Vie. Puis il aborde le thème de la conférence.


Retrouver l’espérance

 « En ce moment où les catastrophes se succèdent, il est difficile de parler d’espérance. L’espérance est le sentiment de confiance en l’avenir qui porte à attendre avec confiance la réalisation de ce qu’on désire. C’est ce qui reste quand on a surmonté la peur, quand on a côtoyé la mort. L’espoir est un engagement, l’espérance est volontariste. La démocratie, c’est le goût de l’avenir. Les politiques n’ont pas de vision ; il manque le projet, le destin. Il faut être dans l’espérance mais sans être aveugle.

Je suis né en 1944, faites le calcul pour connaitre mon âge ! Dans les pires moments que j’ai vécus comme correspondant de guerre, et pendant 30 ans, en Somalie, Erythrée ou Viêt Nam, j’ai toujours trouvé des gens combattifs, déterminés. D’ailleurs la mémoire ne garde que ce qui est important. Alors que je rentrais du Liban où j’étais reporter de guerre, pendant huit ans, je savourais le retour au « paradis sur terre ». Mais dès que je montais dans un taxi, le chauffeur m’assénait toutes les phrases de la sinistrose des parisiens. Un jour, très en colère, j’explosais ; il s’est tu, tout le reste du trajet. Je reste la semaine en Charente, loin du désespoir mondain et du défaitisme des médias. Je passe deux jours à Paris, ainsi je peux faire la chronique Paris-province dans le journal Sud Ouest Dimanche. Les médias, qui se substituent aux journalistes, pensent que plus les informations seront mauvaises, plus les papiers se vendront. Il y a des centaines de bonnes nouvelles non dites. Un exemple : je suis membre d’une ONG, Reporters d’espoir. À Libé, un 23 décembre, avec Courrier international, on a apporté des sujets optimistes pour faire tout le journal Libé des solutions. On a obtenu la meilleure vente de l’année. Depuis, chaque 23 décembre, on réitère l’expérience.


Mutations

Depuis quelques années, quel est le mot qu’on entend le plus, dans le langage public, dans les journaux, radios, télévision ?

La crise !

La crise est un état passager et une fois cet épisode passé, on croit qu’on reviendra à la situation antérieure. Ce n’est pas une crise que nous vivons, c’est une mutation. Il y a cinq grandes mutations qui s’imbriquent et n’en font plus qu’une. Mutation économique, géographique, numérique, génétique, écologique.

La mondialisation est à la fois une prodigieuse promesse qui a permis, à des millions de gens, de sortir du sous-développement et permis le recul de la faim dans le monde. Mais c’est aussi une menace pour l’Europe puisqu’elle accélère sa désindustrialisation.

La révolution numérique est digitale puisque tous nos outils se manipulent d’un doigt : smartphones, ordinateurs, tablettes. Ces outils nous apportent des connaissances infinies

La révolution génétique, commencée en 1950 avec la découverte de l’ADN, se poursuit avec les mécanismes de la vie. Ce qui crée un bouleversement gigantesque, porteur à la fois de promesses formidables et de menaces sur les fondements de nos sociétés.

La mutation écologique nous donne à voir un monde dont les matières premières sont limitées et les habitants toujours plus nombreux. »

D’après Michel Serres, la révolution sociétale que nous vivons serait aussi importante que celle du néolithique qui a vu l’homme passer de la situation de cueilleur-nomade à celle de sédentaire-cultivateur. Le monde que nous avons connu n’existe plus. Une romancière indienne écrit : « Le vieux monde est en train de disparaitre, quand tout est calme autour de moi, je l’entends respirer. »

Propos recueillis par Pierrette Guillot