Apprendre des autres

Aude (à gauche) et Dara travaillent leur projet de cartes poétiques ( photo Singa)

 

Avec l'association Singa, des exilés retrouvent l'espoir de reconstruire leur vie sociale, culturelle et professionnelle.

 

Marie Depecker

 

C'est dans une salle du coworking bordelais, La Cordée1, que Ksenia Skorik nous reçoit. Quel beau symbole ! En effet, directrice de l'association Singa (lien en langue bantoue, parlée au Congo), elle va nous parler de solidarité, de réseau, de communauté interculturelle entre les nouveaux venus en France et les locaux.

 

Dur à vivre

Les réfugiés, accompagnés par Singa, ont quitté leur pays ravagé par la guerre ou pour échapper à la répression. Mais en partant, ils ont abandonné leur statut social. Médecins, professeurs, chefs d'entreprise, journalistes, artistes... nombreux sont ceux qui subissent un déclassement socioprofessionnel en arrivant en France. Selon Singa, 40 % sont surqualifiés dans l'emploi qu'ils trouvent. Pour survivre, ils enchaînent des petits boulots et n'arrivent pas à exercer leur ancien métier. L'exil est une école de patience, d'adaptation, d'innovation pour sortir de l'isolement et retrouver une place dans la société d'accueil. En plus des traumatismes de l'exil, les obstacles à l'intégration sont immenses : barrière de la langue, isolement social, préjugés sur les migrants, diplômes étrangers non reconnus, méconnaissance de l'administration française. C'est dur à vivre. « J'ai envie que ceux qui viennent d'ailleurs partagent leur histoire et deviennent auteurs de leur propre vie » confie Ksenia

 

Entreprendre, c'est possible 

Singa Bordeaux, créée en 2022, se donne deux missions principales. Dans son incubateur, elle offre une formation à l'entreprenariat aux arrivants, porteurs d'un projet d'entreprise ou d'association. Les candidats doivent avoir un titre de séjour ou le statut de réfugié pour pouvoir créer une entreprise et ouvrir un compte bancaire. Mais elle crée également les conditions de rencontres interculturelles, de constitution d'un réseau social et amical pour lutter contre les préjugés et l'isolement. Le tout avec trois salariés et une cinquantaine de bénévoles. Singa a l'ambition de créer une communauté riche de ses différences et de ses capacités car chacun peut apprendre des autres" ajoute Ksenia.

Le but est de « convaincre les exilés qu'ils ont la possibilité d'entreprendre, d'utiliser toutes leurs capacités, de répondre à des besoins mais aussi de réaliser des rêves » insiste-t-elle.

C'est en 2023 que la première promotion d'une dizaine de porteurs de projets est recrutée pour six mois d'accompagnement. Ainsi Momin Abujami, Palestinien, passionné de rugby, a entrepris de fabriquer des vêtements adaptés aux filles qui pratiquent ce sport. Josef El Saghbiny, Libanais, a développé une activité de traiteur, Aqeela Aqeel, Afghane, réalisatrice et journaliste, veut retrouver son métier et réaliser des documentaires, Ekaterina Timokhina, Russe, a le projet d'une Cité des enfants, un spacegame pédagogique pour les enfants.

 

Nouvelles amitiés

Que leur offre Singa ? Un espace de travail, un suivi individuel, des ateliers collectifs animés par des professionnels experts et un mentor pour favoriser les échanges et l'entraide, le développement d'un réseau, l'organisation d'événements, des contacts presse pour garantir la visibilité du projet.

Singa va plus loin en proposant des ateliers non professionnels (sport, musique, danse, cuisine) où chacun apporte son univers culturel.

Et naissent parfois des nouvelles amitiés comme celle de Daria Babchenko et Aude Mennechet. Daria, Ukrainienne, dessinatrice, illustratrice de livres, jeux, poésie, riche d'expériences dans son pays, est arrivée en France en 2022. En 2023 elle est accompagnée par l'association pour monter un espace de création et de vente d'objets artistiques. Aude, coach thérapeute, est son mentor bénévole. Leurs deux univers poétiques se sont révélés proches et elles se lient d'amitié. « Il y a la même sensibilité dans mes illustrations et dans les citations et poèmes d’Aude. C’est ce qui nous a donné cette impulsion pour nous associer et créer Au fil du Cœur. Nous souhaitons éditer un coffret de cartes poétiques avec les textes d'Aude et mes illustrations » explique Daria. « Pour aller à la rencontre de l'autre » ajoute Aude.

À La Cordée, Singa offre aux exilés un chemin possible vers une nouvelle vie.

Site Internet : https://singafrance.com/bordeaux/

 

1 La Cordée 117 cours Balguerie-Stuttenberg Bordeaux