Edito

L’Union fait la force. En choisissant leur devise, les Belges ont montré la voie à une évidence que, presque deux siècles plus tard, Pierre Rabhi a appuyée en affirmant : « Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » Le fait de résider en ermite n’est donc pas le mode d’existence qui a les faveurs de l’humanité bien comprise. Au contraire, sauf à verser dans le mysticisme, tout nous pousse à respirer en société dans un bel échange des savoirs et des compétences mis au service du plus grand nombre. Il n’est pas un ou une qui n’ait à apporter son écot au bien commun.

Somme toute, qui peut prétendre survivre dans une autarcie rigoureuse ? Quelle âme peut se passer de l’Autre ? Quelle démarche est possible dans un enfermement égoïste excluant tout autre reflet dans le miroir que le sien ? Exister, n’est-ce point, d’abord, dans le regard de ses semblables, dans leur fréquentation, dans le partage ? Voilà pourquoi, la main tendue reste un des plus beaux gestes surtout lorsqu’elle n’a d’autre but que de rapprocher celles, ceux, apparemment différentes et différents, à cela près qu’elles qu’ils appartiennent à la seule espèce qui est nôtre, la race humaine.

On sait que cette valeur essentielle de la source d’un gène commun n’est pas forcément partagée par tout le monde. Laissons donc aux populistes et autres boutefeux leurs délires de ségrégation, et tournons-nous, plutôt, vers les esprits les plus exigeants ; ceux qui n’ont d’autre but que de partager à fin d’intégration, leur fond de bonté, d’altruisme, de communion. Ils sont bien conscients qu’au-delà des différences apparentes, nous nous nourrissons du même arbre généalogique à l’origine duquel figure l’homo-sapiens et, bien au-delà, notre ancêtre commune, l’Africaine Lucy.

De cette quête d’humanité ressort cette illusoire impression que tout cela coulerait de source. Le naturel avec lequel s’expriment les âmes bien nées qui poussent les portes des prisons, se penchent « sur celui qui demande et se redressent devant celui qui donne » (d'après Félix Leclerc), offrent asile aux plus délaissés, ouvrent leurs sentiments à l’écoute des malheureux laisserait croire qu’elles n’ont aucun effort à faire. Toutes ces actions bienfaitrices engagées ici, là pour que personne ne reste à la porte, pour comprendre les détresses invisibles qui nous côtoient, pour élever les oubliés du bas de l’échelle, ne sont pourtant pas aussi évidentes qu’on veut bien le dire.

Il faut déjà identifier la détresse avant de commencer à y porter remède. Souvent elle se dissimule car la misère n’est pas bien vue. Pourtant, qu’elle soit sociale, psychologique, financière, qu’elle provienne de l’éducation, de la violence, qu’elle soit le fruit d’un parcours abrupt, d’une chance ratée, d’une mauvaise fréquentation, et même, pourquoi pas, d’une flemme indomptable ou d’une glissade vers l’addiction, elle mérite d’être comprise pour qu’un accompagnement adapté permette de s’en extraire.

Il y a aussi bien sûr, cette montagne à franchir qui s’appelle la prévention, cette qualité sociale dont on sait ce qu’elle coûte sans jamais avoir l’assurance qu’on saura ce qu’elle a évité. Il faut donc d’autant plus de courage pour tenter de l’escalader, lorsqu’on ne dispose que de sa bonne volonté et de son courage à deux mains. De Joseph Wrezinsky (ATD Quart Monde) à Coluche (Les restos du Cœur) en passant par  l’Abbé Pierre (Emmaüs) ils sont quelques visionnaires éveillés à être sortis de leur confort pour s’investir, préférant l’action à la charité. Mais au-delà de ces personnalités qui ont émergé par charisme ou sens de l’échange, il y a ces cohortes d’anonymes dont les noms sont ignorés, qui, de maraude en collecte, utilisant ici le savoir, là le sport, ailleurs la santé ou la convivialité, apportent leur écot à l’humanité militante. Toutes ces belles personnes, comme on dit, agrègent ainsi la double notion d’union et d’ensemble ; les qualités pour parvenir, si possible, à un monde meilleur.

 

Jean-Paul Taillardas