Le français les réunit
Deux fois par semaine, à Langon, sept femmes retrouvent leur professeure de français langue étrangère et s’initient aux subtilités de la langue pour une même nécessité, s’intégrer.
Par Karine Sallafranque
Au deuxième étage place de l’horloge à Langon, un groupe de femmes converse, c’est la fin de la pause déjeuner. La soupe instantanée vite avalée et le sachet de thé à peine infusé, les élèves de l’Organisme de reclassement, de formation et d’insertion par l’économique (ORFIE) rejoignent leur professeure de français à treize heures précises.
Le désir de communiquer
Le craquement de l’étroit escalier de bois signale à Any Fortune l’arrivée du groupe. Dans la grande salle mansardée, chaque mercredi et jeudi, sept femmes ont rendez-vous avec leur professeure. Elles viennent d’Ukraine, du Maroc, de Jordanie, du Liban, de Russie, de Thaïlande ou de Turquie et elles portent en elles le même désir de communiquer pour s’intégrer.
Partie de Turquie il y a neuf ans, Derya pose ses bagages en France auprès de son mari. Elle explique qu’il est difficile d’avoir des relations sociales car il y a peu de familles turques près de chez elle. « Les cours de français, c’est ok pour la relation ! » affirme-t-elle. Yulia vivait à Saint-Pétersbourg en 2016 quand elle a quitté son pays. Elle souhaite « parler mieux le français pour trouver du travail ». Également originaire de Russie et professeure d’anglais, Nathalie foisonne d’idées pour être active. Même si sa vie à la campagne et la difficulté de la langue française freinent ses projets, son regard déterminé en dit long sur son ambition.
Jeux de dames
Pour Manisorn, d’origine thaïlandaise, la motivation, pour participer aux cours d’Any, est portée par la nécessité d’aider sa fille qui présente des différences par rapport aux autres enfants de son école maternelle. Enfin, Alina qui a fui la guerre d’Ukraine pour protéger ses trois enfants, sait que la connaissance de la langue est essentielle pour regagner une situation stable dans un pays d’accueil dont elle ignorait tout il y a deux ans.
Quand le cours commence, chaque élève est concentrée sur les consignes d’Any. Un simple cahier sagement posé devant Tfarah, une ribambelle de feuilles de papier étalées de Nathalie à Yulia, un ordinateur portable ouvert sur la table de Manisorn ; toutes les attentions sont portées sur les explications de la professeure : Any propose un jeu de rôle dans lequel les élèves doivent indiquer le chemin à une inconnue. « Imaginez, on ne se connaît pas. Je cherche le ciné. » Tfarah tente une réponse : « À droite… Non, à gauche… Ou peut-être à droite ? ». Spontanément, des rires chaleureux fusent devant ces hésitations. Les exercices proposés sous forme de challenges s’enchaînent : une phrase correcte vaut un point. Le but est d’atteindre dix points sans se tromper. Très motivant ! L’ambiance ludique et bienveillante laisse une empreinte joyeuse et détendue dans la salle. Les élèves doivent maintenant commenter des vidéos ou des diaporamas. Any rappelle qu’on « a le droit de s’aider les unes les autres ».
Dans la salle mansardée de la place de l’horloge, melting-pot miniature, la langue française réunit ces sept femmes dans un phrasé tissé d’imperfections touchantes. Les échanges amicaux rebondissent joyeusement et les incompréhensions sont subtilement gommées par le désir de communiquer.
Encadré :
L’action d’ORFIE est ancrée dans la lutte contre les exclusions et la précarité. Elle bénéficie d’une habilitation du service public (HSP) pour sa lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme. Outre les formations linguistiques pour les personnes allophones, elle propose des formations courtes spécifiques pour les travailleurs handicapés ainsi que des remises à niveau notamment en bureautique, pour faciliter une insertion professionnelle.
Place de l'horloge à Langon