Revivre après la détention

L’association Wake-Up Café aide les anciens détenus à se réintégrer dans la société. Elle se prépare à ouvrir une antenne à Bordeaux, probablement en 2025.

Par Etienne Morin

 

 

 

 

 « La prison est très infantilisante, affirme Domitie Bourgain, responsable de l’association Wake-Up (WKF) à Nantes. Les détenus perdent les gestes de la vie normale : choisir une heure de lever, préparer un repas et même ouvrir une porte… Quand ils sortent, ils n’ont plus rien : souvent plus de famille, plus travail mais surtout plus les réflexes permettant de structurer une vie quotidienne. »

Il y a actuellement 75 000 prisonniers dans les prisons françaises. 60 % de ceux qui en sortent récidivent : c’est sur ce constat dramatique que s’est construite l’association WKF. Et les résultats sont là : seulement 10 % des personnes qu’elle soutient entrent en récidive.

 

Succession d'échecs

Selon le Code pénal, la peine de prison a trois objectifs : l’affliction, la sûreté et la réintégration. L’affliction consiste à faire mal à celui qui a fait du mal. La sûreté est le fait que tant qu’il est en prison, il ne commet pas d’infraction. Mais la réintégration ? Comment est-elle prise en charge ?

La première question est de savoir pourquoi on va en prison. La détention est le produit d’une succession d’échecs : un échec scolaire mais aussi un échec éducatif car la plupart des détenus n’ont pas été aimés. « À preuve, nous explique Domitie Bourgain, la proportion extrêmement grande de personnes en prison passées par l'Aide sociale à l’enfance (ASE). Mais expliquer le parcours de délinquance n’est pas l’excuser : les personnes détenues ont fait du mal et la condition première de leur réintégration, c’est qu’elles reconnaissent leur culpabilité. À défaut, rien n’est possible. »

C’est là où l’association WKF intervient. Le processus d’accompagnement commence avec un entretien entre la personne qui sort de prison et deux membres de l’équipe WKF : « Il s’agit de sentir si la personne est réellement dans un désir de se réintégrer » continue Domitie Bourgain. Car nous lui demandons un engagement fort : à partir du moment où elle s’engage dans le processus, elle devra être présente dans l’association de 9 heures à 17 heures tous les jours. » Cependant, tous ne sont pas admis, comme les personnes relevant d’un traitement psychiatrique (environ 20 % des détenus) et celles pour lesquelles un processus d’intégration par le travail n’est pas possible, du fait par exemple d’une situation irrégulière. 

Atelier sport ou collectif

Entrer en confiance

« La première chose nécessaire à accomplir pour réussir une réinsertion est de retrouver un rythme et renouer des liens sociaux » affirme ainsi Domitie Bourgain. Au cours du premier mois, un chargé d’insertion aide le nouveau wakeur à régler les formalités administratives qui sont la base d’une vie sociale : obtenir de nouveaux papiers, une carte vitale, faire une demande de logement, s’inscrire à la CAF, à France Travail… Cette première étape prend en général au moins un mois.

Dans un deuxième temps, la personne est accompagnée par un chargé d’emploi qui réalise un lien avec les entreprises et qui aide le wakeur à trouver un travail. Le matin est consacré à des ateliers collectifs : savoir se présenter, écrire une lettre de motivation et un CV, simuler des entretiens. « Cette étape se fait en commun, donc sous le regard, le conseil et la bienveillance des autres wakeurs. Il faut donc apprendre à subir une critique bienveillante pour progresser, ce qui est déjà en soi un réflexe professionnel pour apprendre à travailler en entreprise. »

L’après-midi, des ateliers sport, théâtre, communication non violente, gestion des émotions, café philo sont proposés. « Tout cela n’a rien d’occupationnel : il s’agit d'adopter un autre mode de relation, fondé sur une confiance réciproque. Le wakeur entre ainsi dans une communauté d’entraide : il va recevoir et il va donner, et c’est ce qui va lui permettre de retrouver une confiance en lui » poursuit Domitie Bourgain.

 

Un long suivi

En même temps commence la recherche d’emploi. « L’embauche d’une personne sortant de prison n’est pas simple pour une entreprise : si on ne dit rien, on peut être accusé de mensonge et si on le dit, elle peut être ostracisée » indique ainsi Isabelle Jegousse, responsable des relations humaines dans un grand groupe de distribution partenaire de WKF.

L’entrée en emploi n’est pas la fin de la relation avec l’association. En effet, le wakeur reste suivi pendant au moins un an (sans limite de durée), avec a minima deux réunions par mois qui permettent d’assurer le suivi jusqu’à la certitude de la réintégration.

La récidive coûte cher. Un détenu coûte 100 € par jour à la collectivité, sans compter les préjudices que peuvent causer les délinquants à tous les citoyens. Il est temps que la réintégration soit une priorité dans le programme des prisons.

 

 

Encadré 1

Parcours de vie de Jason

 

Jason est un ancien de l’ASE, qui a multiplié les « bêtises » et les séjours en prison. Il arrive chez WKF en 2017, à l’âge de 22 ans. Lors d’une démarche de recherche de partenaires, il accompagne la directrice de WKF, Clotilde Gilbert, chez Nespresso et se présente comme multirécidiviste, tout en affirmant qu’il veut faire un stage en entreprise car il a entamé une formation de comptabilité. La DRH de Nespresso accepte le pari. Il commence un contrat d’apprentissage, puis un CDD et enfin un CDI. Depuis, il gravit un à un les échelons chez Nestlé. « Au début, j’étais épuisé : je devais sans cesse adapter mon langage et mon attitude aux collègues et aux clients. Le soir, je revenais en cité et je retrouvais mes anciens copains qui gagnaient 2 000 € par jour en dealant : comment voulez-vous ne pas être tenté d’abandonner la formation ? » Aujourd’hui, Jason est marié, il est sorti de la cité… Et il vient animer en tant que bénévole des ateliers chez WKF.

Encadré 2

Parcours de vie de Kevin.

 

Quand Kevin arrive à WKF, il a un lourd passé de délinquant. Il vient d’Orléans où réside toute sa famille, mais sa sortie est conditionnée à une interdiction de fréquenter le Loiret. Il met beaucoup de temps à créer des liens au sein de l’association. Il est embauché au Quai de la Liberté, le restaurant d’application de l’association en Île-de-France. Son interdiction d’aller à Orléans lui pèse énormément ; sa famille y réside. Kevin finit par craquer, fait une très grosse bêtise au restaurant et viole son interdiction d’aller à Orléans. C’est un échec lourd pour Kevin et pour l’association. Mais peut-être un jour, quand il sera vraiment prêt à changer, il reviendra pour être à nouveau pris en charge.

Repas pris en commun