Quatre saisons de plein vent

La cinquantaine passée, et après trente ans de parcours professionnel traditionnel, Céline Olympe et Olivier Jacquet ont choisi de revenir travailler sur les marchés.

Par Alain Laffitte

Comme tous les samedis matin sur la place du centre commercial Cap de Bos à Pessac, les marchands des quatre saisons s’installent derrière leurs étals. Céline et Olivier ne seront jamais riches. Ils le savent depuis le départ. Alors, qu’est ce qui les fait avancer ? « Juste ce sentiment de liberté mêlé d’un peu d’aventure. La liberté d’être au plein air, de n’avoir de comptes à rendre à personne ». Mais aussi « ce besoin du contact avec les gens, de leur fidélité, de leur gentillesse ».

 

Huit heures trente : Le marché commence à s’agiter mollement. Céline est en train de peaufiner la présentation de son étal de fromage. Cinq jours par semaine, c’est le même rituel : debout vers cinq heures du matin, elle rentrera chez elle, à Carcans, vers quatorze ou quinze heures. Elle y préparera le marché suivant mais aussi démarrera sa deuxième activité, puisqu’elle y tient un salon de beauté. « Il faut bien vivre. », dit-elle. Elle avait dix-huit ans, Céline, lorsqu’elle a commencé à vendre sur les marchés. Tout d’abord sur l’île d’Oléron, en été, puis, le long des routes de la vallée d’Aspe dont elle est originaire. Six années pendant lesquelles elle a découvert ce métier, cette ambiance. Et déjà elle savait, qu’un jour ou l’autre, elle recommencerait. C’était une évidence. Entre temps, elle s’est essayée à de nombreux autres gagne-pain mais il lui faudra attendre que ses enfants soient grands pour se dire « maintenant, je fais ce que je veux ». Ici, pas de SMIC, pas de durée légale de trente-cinq heures, pas même un gros salaire en contre partie des heures passées... Ce qui la fait vivre, en fait, tout au long de l’année, ce sont les marchés, les soirs d’été, dans les campings. Six soirs par semaine, en plus de ceux du matin qu’elle maintient. Cinq ou six ans après avoir repris, et avec le recul, est-ce que toutes ces raisons étaient les bonnes ? « Oui, répond-elle sans hésitation. Tous les matins, je viens avec plaisir, je m’éclate, c’est ma richesse. »

À quelques mètres de là, Olivier a fini d’installer son banc de poissons, qui arrive tout droit de la criée d’Arcachon. « Il y a du poisson, des crustacés toute l’année, des couleurs. On peut faire quelque chose de joli, c’est pas basique, pas fade ». Cinq jours par semaine, tout au long de l’année, il arrive sur les marchés avant cinq heures trente pour recevoir la livraison de sa commande passée la veille à son mareyeur. Après des études à l’École des métiers de la mer de Gujan, il a travaillé huit ans pour un ostréiculteur : « Un métier qui ne paie pas, se doit-il de préciser ». Puis, après trente ans de carrière dans la grande distribution – où il finira chef de rayon frais – il rêve d’une autre vie. D’une vie où on ne commence pas à cinq heures du matin pour finir à dix-neuf ou vingt heures du soir ; avec des conditions et des relations de travail de plus en plus compliquées et où la reconnaissance n’est plus de mise. Il est épuisé, surtout avec la période du Covid. Il veut pouvoir profiter un peu plus de sa famille, de ses amis. Sa femme lui dit : « Monte toi un petit truc ». Alors, il démissionne et avec sa prime de départ en poche, plus un petit apport, il se lance. Bien sûr, le métier est contraignant, surtout avec le poisson. « C’est de l’odeur, du toucher ; toujours les mains dans l’eau froide, la glace. » Mais, trois ans et demi après de cette nouvelle vie, il se dit, tous les matins : « Si j’avais su, je l’aurais fait il y a dix ou quinze ans. Même si j’y laisse un peu d’argent ».

 

Vers douze heures trente, le marché s’est progressivement vidé. Céline et Olivier commencent à replier leurs étals. Ils font rapidement leurs comptes et même si la recette n’est pas vraiment à la hauteur de leur attente, ils seront de retour samedi prochain. Car qu’est ce qui pourrait les faire renoncer ? Le temps, bien sûr, pas toujours clément. La condition physique, plus certainement, car avec l’âge, tout devient plus compliqué.