Habiter les Bassins
Piloter le futur quartier des Bassins à flot en préservant l’esprit des lieux, c’est la mission de l’architecte urbaniste Nicolas Michelin.
Le défi est immense : comment réussir la mutation d’un lieu autrefois voué aux activités portuaires ? Comment y greffer une vie nouvelle ? La table rase, à l’origine du quartier de Mériadeck, est exclue ; aujourd’hui, on préfère mobiliser tous les acteurs, préserver ce qui est existant pour la mémoire et s’inspirer du lieu pour construire.
Des friches à investir
Le port a quitté la ville, désormais il concentre ses activités en aval. Une balade autour des bassins laisse entrevoir le passé du quartier délaissé. L’herbe envahit les pavés, la grue rouillée est figée sur ses pieds, les écluses le plus souvent fermées et les cales sèches vides. Toutefois, pas tout à fait assoupi : des bateaux de plaisance tanguent au loin, des péniches sont arrimées pour hiverner, certaines transformées en bars de nuit. Les silos des huileries sont un support original pour une œuvre artistique de Nicolas Milhé, « RESPUBLICA ». Transformer la base sous marine en espace culturel n’occulte pas son béton lugubre et son sombre passé. Enclave insolite dans le paysage bordelais mais qui ne manque pas de charme ni de mystère.
Au XIXe siècle, l’activité maritime se déplace des Chartrons vers Bacalan avec la construction de nouvelles structures portuaires : bassins, écluses, formes de radoub et docks. Mais aujourd’hui, les bordelais font le deuil de cette histoire. Grâce au travail et à l’imagination des urbanistes, à la volonté du maire, le quartier des Bassins à flot, tout en protégeant son patrimoine d’exception, pourrait devenir le cœur de Bordeaux Maritime, bientôt relié à l’autre rive grâce au pont Bacalan-Bastide.
Faire la ville ensemble
Tout a commencé par la consultation des acteurs : pour imaginer le devenir de ce territoire si singulier, la ville de Bordeaux et la CUB ont lancé un vaste programme de concertation dès 2008 avec tous ceux qui ont connu le port, qui aiment ce lieu, assez pour y investir, qui y travaillent encore, qui y vivent déjà. De quoi nourrir la réflexion de Nicolas Michelin, désigné comme maître d’œuvre. En effet, contrairement aux habitudes, il a élaboré un plan-guide qui dessine les grandes lignes du futur quartier mais en laissant place à la liberté et à l’imagination des futurs bâtisseurs. Les terrains étant privés, il était nécessaire de créer une structure pour recevoir les investisseurs et leurs architectes. C’est l’Atelier des bassins où travaillent ensemble la ville de Bordeaux, la CUB, le Port et l’ANMA*. Chaque projet y est présenté, discuté, validé. Cette manière de « faire la ville » n’est pas spectaculaire mais interactive et vise à concilier les objectifs du plan-guide et les programmes de chaque promoteur (les grands, Nexity, Vinci, Domofrance et les modestes, une guinguette par exemple).
La feuille de route
Approuvé par la ville et la CUB, Nicolas Michelin prévoit de quadriller le site de sentes pour vélos et piétons, perpendiculaires aux bassins pour converger vers l’eau, de construire un habitat écologique fidèle au lieu, des immeubles comme des hangars habités, des toitures en dents de scie pour rappeler les ateliers industriels. Il préconise le mélange dans chaque îlot de toutes les fonctions d’un quartier : habitat, commerce, artisanat, bureaux, écoles, jardins… et d’organiser la mixité sociale. Quant à la plaque portuaire, elle sera réservée à la plaisance, à la promenade ou au passage, à la rêverie ou à la distraction, en prolongement des quais. Un grand chantier de réparation navale est en projet.
Désormais reliés par le tramway, les Bassins à flot, chers aux anciens, ont commencé leur mue : deux îlots sont d’ores et déjà en chantier, le premier côté Bacalan livré en 2012 et côté Chartrons, un îlot intergénérationnel livré en 2013 (5 000 logements sont prévus d’ici 2020 pour 11 000 habitants). En bord de Garonne, le futur Centre culturel et touristique du vin, programmé pour 2014, en sera la figure de proue.
Cette aventure urbaine nourrit l’espoir pour les futurs résidents d’une vie différente, entre ciel et eau.
Marie Depecker
*ANMA : Agence Nicolas Michelin et associés