L'esthétique face à la maladie
La socio-esthétique permet « d'aider l’autre à se sentir mieux et à mieux vivre sa maladie »
Reconnu comme soin de support depuis le plan cancer de 2003, le métier de socio-esthéticienne est encore méconnu et peu répandu. Ève Lapouge et Camille Grelaud qui exercent à l’institut Bergonié participent au soin des patientes en leur rendant un peu de leur beauté.
— L’Observatoire : Pouvez-vous expliquer votre métier en quelques mots ?
— Ève Lapouge : La socio-esthétique est une approche qui relie le relationnel et le travail corporel. C’est un métier où l’on accompagne le patient différemment. On est dans une approche humanitaire et sociale. Ainsi on peut accompagner des femmes en situation de précarité, des femmes détenues en milieu carcéral ou des personnes hospitalisées.
— Camille Grelaud : Nous pouvons également intervenir en maison de retraite. L’idée est que tout le monde puisse avoir accès à des soins ou des conseils en esthétique.
— En quoi consistent concrètement vos interventions ?
— È.L. : Ici, à l’institut Bergonié, on va travailler à restaurer l'estime de soi, aider les patientes par l’intermédiaire de massages ou de soins spécifiques, à retrouver une certaine confiance en elles. Souvent, après une ablation du sein, les personnes n’osent plus se toucher, avec leur conjoint cela peut être compliqué, nous essayons de leur donner envie de s’occuper d’elles dans le soin et le maquillage.
— C.G. : Nous n’intervenons pas directement sur les prothèses mais nous les conseillons sur ce qu’elles peuvent faire. Après la cicatrisation, nous pouvons proposer des tatouages éphémères en adhésif qui permettent de se sentir un peu plus féminines même si cela peut avoir un côté pervers : on oublie moins facilement la mutilation.
— En quoi votre métier diffère-t-il de celui d’une esthéticienne ?
— C.G. : Il touche plus à l'affect, le facteur humain est primordial dans la relation à l'autre, on a vraiment envie de s’investir et l’aider, à mieux vivre sa maladie..
— E.L. : Nous proposons un accompagnement avec des conseils sur les problématiques liées aux traitements (sécheresse cutanée, alopécie, perturbation de l'image corporelle). Avec l’aide d’un livret conseil que nous avons élaboré en lien avec l'équipe soignante, nous conseillons des produits cosmétiques qui peuvent atténuer les effets secondaires des traitements. Par l’intermédiaire d’ateliers de maquillage, nous pouvons également leur enseigner les techniques pour redessiner leurs sourcils afin qu’elles retrouvent le regard qu’elles avaient avant la maladie.
― Quid de la douleur ?
— E.L. : Nous pouvons également agir dans la prise en charge de la douleur, en complément de traitements médicamenteux : ainsi le massage permet d’établir une communication verbale ou non avec la patiente pouvant amener à un lâcher-prise, parfois à des confidences, anecdotes diverses. C’est un moment privilégié avec le patient qui peut lui permettre d’une part d’oublier sa présence en institution mais aussi l’aider à se relaxer, à exprimer ses angoisses. L’aspect psychologique est très important dans notre démarche, certaines patientes préfèreront boire un simple café et se livrer sur leur peine, leur peur.
— C.G. : Nous intervenons également en soins palliatifs, lorsqu’il n’y a plus de traitement possible. Ici, nous sommes sur un soin de confort où les patientes oublient leur douleur, se préparent à partir avec dignité, cette séance d'ultime maquillage est très chargé émotionnellement, même après des années d’exercice l'impact émotionnel est toujours aussi fort.
— Comment devient-on socio-esthéticienne ?
— E.L. : Pour exercer ce métier, il faut deux ans en institut de beauté en tant qu'esthéticienne. Seul le diplôme du CODES1 à Tours est reconnu par la profession. La formation est dispensée par des professeurs émérites, des médecins et infirmières. Une fois le diplôme obtenu, les places sont chères, le secteur public est l’employeur majoritaire, les socio-esthéticiennes ont un statut équivalent à celui des aides-soignants. Je travaille depuis 1998 à l’institut Bergonié et la grande difficulté de ce métier/est de ne pas trop prendre à cœur les histoires de chacune. On reçoit de plus en plus de jeunes femmes âgées de 20 à 25 ans, le cancer n'existant malheureusement pas seulement chez les plus de 50 ans. Personnellement après le travail, j’aime bien aller faire les boutiques, me changer les idées. J’ai besoin de vider mon sac à l’extérieu. Ce métier est certes source de peine mais certains regards ou sourires de patientes après la consultation me confortent dans l’idée que je ne quitterai jamais ce métier.
Propos recueillis par Christine Moreau
1 CODES : Cours d'esthétique à option humanitaire et sociale
Eve Lapouge et Camille Grelaud