Penser, faire vivre autrement
Par Étienne Morin
Adjointe au maire de Bordeaux chargée des finances, de la transition énergétique et de l'égalité femmes/hommes, et vice-présidente de la métropole de Bordeaux, Claudine Bichet détaille pour L’Observatoire les politiques mises en place par la municipalité et la Métropole pour favoriser la transition écologique.
— L'Observatoire : Quel est votre mission au sein de la municipalité de Bordeaux ?
— Claudine Bichet : Lorsque la liste de Pierre Hurmic a été élue, le Maire m’a proposé d’être 1ère adjointe en particulier en charge des finances, du défi climatique, de la transition énergétique et de l’égalité entre les femmes et les hommes et j’ai aussi été élue vice-présidente de la Métropole en charge de l’énergie, du climat et de la santé. Je m’investis pour faire bouger les lignes et mettre en œuvre notre projet municipal et métropolitain.
— Comment changer les modes de transport pour réduire la pollution ?
— L’objectif est de réduire la circulation des véhicules les plus polluants mais aussi de promouvoir les mobilités alternatives et douces, en accompagnant vers d’autres modes de déplacement que la voiture (déplacement piétons, vélos, transports en commun, autopartage…) afin d’apaiser la ville, de réduire la congestion, de limiter les émissions de gaz à effet de serre dont le transport routier est responsable à hauteur de 40 %.
— Certains traduisent ZFE par « zone à forte exclusion ».
— Non, il s’agit bien d’une « zone à faible émission », en particulier des oxydes d’azote et des particules fines qui sont la plus importante cause de maladies respiratoires provoquées par la pollution. Celle de l’air génère sur la seule métropole de Bordeaux 600 morts évitables par an. On peut ajouter qu’un tiers des enfants de moins de 15 ans sont aujourd’hui asthmatiques. Ce n’est pas acceptable.
L’initiative de la mise en place des ZFE avant le 1er janvier 2025 dans toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants revient au gouvernement, par la loi résilience et climat de 2021. Si, sur l’objectif d’améliorer la qualité de l’air, nous ne pouvons qu’être d’accord. Dans la réalité le cadre légal qui nous est proposé est déficient tant dans la cohérence du dispositif que dans les modalités d’accompagnement financier. Ce qui fait que la mise en œuvre opérationnelle s’avère extrêmement difficile pour les collectivités locales concernées.
— Comment allez-vous procéder ?
— On souhaite accompagner à chaque fois que possible vers un changement de mobilité : l’objectif de la stratégie mobilité de la Métropole vise à passer de 50 % de part modale voiture aujourd’hui à 33 % en 2030. Après nous savons qu’il n’y a pas de solution alternative pour tout le monde, et pour cela nous souhaitons aussi accompagner à un changement de véhicule, ou encore mieux, juste de sa motorisation avec le retrofit1 ceux qui n’ont pas d’autres choix, en abondant les aides financières de l’État actuellement totalement insuffisantes.
— Concrètement, comment se traduira la ZFE ?
— Au 1er janvier 2025, seuls les véhicules ayant une vignette Crit'Air 1,2 ou 3 pourront librement circuler intra-rocade. Il y a 437 680 véhicules sur la Métropole, et cela signifie que 39 550 de ceux-ci, les voitures ayant un Crit'Air 4 ou plus, subiront des restrictions de circulation. À horizon 2027 et après réalisation d’un bilan en 2026, les véhicules Crit'Air 3 pourraient être restreints à leur tour, soit 90 620 véhicules en plus.
— La Métropole n’a-t-elle pas changé de politique en matière de transports en commun ?
— Après une évaluation financière et écologique, nous avons décidé de remplacer certains projets de lignes de tramway par des bus à haut niveau de service (BHNS) qui étaient plus pertinents, compte tenu d’un nombre d’usagers trop faible au regard des investissements financiers très élevés et du fort impact environnemental induits par ces infrastructures très lourdes.
— La première des mobilités douces n’est-elle pas le déplacement à pied ?
— Oui, il faut donner la priorité aux piétons car c’est le meilleur moyen de déplacement. Il y a une stratégie globale de la Métropole pour restaurer les espaces de marche et rendre la ville plus agréable avec des bancs, des arbres, bref tout ce qui peut contribuer au confort du piéton.
— Le piéton qui se promène à Bordeaux est toujours dans la peur de se faire renverser.
— Nous sommes bien conscients qu’il y a des conflits d’usage de la voie publique lorsque circulent au même endroit des vélos, des trottinettes et des piétons. Nous travaillons à l’apaisement de la ville. Cela passe par un plan marche avec l’amélioration des conditions de déplacement des piétons, la restauration d’espaces spécifiques de déplacement pour les vélos, de façon à réduire ces conflits d’usage. Il y a une priorité pour créer de nouvelles pistes cyclables mais il faut accepter que toutes ces politiques prennent du temps. La Métropole a voté la construction de 180 km de pistes cyclables supplémentaires. Cela ne se construit pas en un claquement de doigt.
— La propreté est un élément essentiel de l’environnement. Comment envisagez-vous d’agir ?
— La propreté de la ville n’est qu’un aspect visible d’une politique globale. L’objectif est de tendre vers une politique de zéro déchet. C’est l’objectif du « plan propreté » qui sera voté par la Métropole. De façon simple, on doit expliquer et inciter les habitants de ne pas jeter tout, n’importe où. Certaines villes comme Nice ou Metz ont lancé des projets similaires et sont parvenues à des résultats significatifs, mais au bout d’une dizaine d’années. C’est toute la chaîne de propreté qu’il faut analyser et modifier. Contrairement à ce que prétendent certains, il n’y avait jamais eu de plan propreté au niveau de l’agglomération de Bordeaux. Tout est donc à mettre en place.
— Allez-vous instaurer un système d’ordures payantes au poids ?
— À ma connaissance, il n’est pas prévu de mettre en place un système de pesage des ordures à Bordeaux. Il y a en revanche un objectif de réduction de 15 % des déchets ménagers par habitant en 2030 par rapport à la situation de 2010 et une valorisation matière de ceux-ci, à savoir +65 % d’ici à 2035 par rapport à 2010. Nous allons fournir des composteurs gratuits aux habitants des maisons individuelles et mettre en place des points d’apport volontaire disséminés dans la Métropole en intra-rocade et dans certains logements collectifs en extra-rocade. Les déchets de cuisine récupérés seront compostés pour moitié et valorisés énergétiquement en production de biogaz par des méthaniseurs en Gironde. Une fois ces dispositifs et d’autres déployés avec un accompagnement et une sensibilisation de l’usager sur le fait que nous n’avons pas des déchets mais des ressources. On cherchera à déployer une tarification incitative potentiellement en fin de mandat.
— Quand on vous écoute, on a l’impression que tout fait système.
— Effectivement, tout est lié. Toutes ces politiques publiques sont des actions fortes et structurantes d’atténuation et d’adaptation au réchauffement climatique mais elles ne sont rien si nous n’arrivons pas à faire changer le regard de nos habitants sur l’importance de nos ressources, sur leur rareté et donc sur la nécessité de les préserver. Il nous faudra arriver à l’implication de tous au bénéfice du climat et démontrer combien un modèle de société plus sobre est bénéfique pour notre santé, notre pouvoir d’achat et notre économie en relocalisant emplois et production. Penser, faire et vivre autrement : c’est la voie d’une société désirable que nous souhaitons pour les habitants de la Métropole, donc n’attendons plus !
1Le retrofit consiste à retirer le moteur thermique ainsi que le réservoir du véhicule et à les remplacer par un moteur électrique et une batterie