Un moulin sans grande roue
Le moulin de Gajac près de la jalle de Blanquefort (photo de R. peuron)
Ni classé monument historique, ni même inscrit à l’inventaire supplémentaire, car ses propriétaires veulent lui garder son caractère familial, ce moulin est original par son mécanisme et l’évolution de son fonctionnement au cours du XXe siècle.
Lorsque vous arrivez à Saint-Médard-en-Jalles, venant de Bordeaux en passant par le Haillan, vous ne pouvez pas rater le moulin de Gajac. Il est là, à l’entrée de la ville, sur votre gauche quand vous empruntez le pont qui enjambe la jalle de Blanquefort. Les premières traces de l’existence d’un moulin à farine à cet endroit remontent à la fin du XIIIe siècle. En 1750 Pierre Castaing y arrive comme garçon meunier. Aujourd’hui, la branche Lamy en est toujours propriétaire.
Gérer l’eau
Lucie Lamy, une énergique et souriante septuagénaire, vous y accueille tout simplement et vous le fait découvrir. Sa façade est visible depuis le pont. Ici, pas de grande roue extérieure, l’essentiel est caché sous le moulin. De l’eau s’écoule à gros bouillons à travers l’arche centrale, mais pas le moindre filet pour les trois plus petites, ni pour la cinquième qui correspond au déversoir. (1)
À l’arrière, vous découvrez une retenue d’eau, recouverte en partie par des nénuphars sauvages où vivent de nombreux poissons. Un système automatique gère l’ouverture des vannes afin que son niveau reste entre des limites hautes et basses, la valeur maximale ayant été fixée au temps de Louis-Philippe. Lucie précise : « L’urbanisation et par conséquent l’imperméabilisation de grandes surfaces font que l’arrivée d’eau est aujourd’hui très liée aux pluies, ce qui amène à réagir toujours plus rapidement. En cas d’anomalie de fonctionnement du système, je reçois un message sur mon téléphone portable ; si je suis absente de mon domicile, je préviens un ami qui intervient très vite et manœuvre les vannes à la main. »
Farine et glace
Vous pénétrez dans une grande salle de 30 m de long. Trois ensembles en bois et en acier de plus de 3 m de diamètre occupent une bonne partie de la pièce. Chacun abrite une trémie pour l’alimentation en grains des deux meules dont l’une est fixe alors que l’autre tourne autour d’un axe vertical entraîné par un rouet hydraulique mû par l’eau, dont la vitesse est augmentée et donc son efficacité par le passage dans une construction maçonnée en forme de goulet. Au plafond de nombreuses poulies existent toujours, elles étaient reliées par des courroies afin d’utiliser la force hydraulique pour faire fonctionner de nombreux outillages dont des blutoirs.
Le moulin n’a plus reçu beaucoup de blé depuis le début des années 1930, sa mort, comme celle de ses nombreux semblables, ayant été précipitée par l’installation des Grands moulins de Paris à Bordeaux en 1924. Il a repris du service pendant la seconde guerre mondiale.
En 1935, le dernier meunier implante une fabrique de glace alimentaire qui fonctionne jusqu’aux années 1970. Une turbine hydraulique immergée sous une des meules entraînait un système de compression/décompression d’anhydride sulfureux afin de refroidir à une température (largement) négative de la saumure. Des moules en métal remplis d’eau y étaient alors plongés pour fournir des blocs de 20 kg, vendus sur place ou distribués par voiture à cheval dans la ville et par camion au-delà. Votre hôte précise : « Toute la machinerie est encore en place et pourrait fonctionner. »
Une loi peu prisée
En 2006, le parlement a voté « la loi sur l’eau et les milieux aquatiques ». Les propriétaires de moulins, regroupés au sein de l’Association Girondine des Amis des Moulins, sont favorables à cette loi qui vise à protéger l’environnement, à conditions toutefois qu’elle soit appliquée avec discernement, ce qui ne semble pas être tout à fait le cas. Des études ont été faites pour créer des passes à poissons ou des bras de contournement dont le coût peut être très élevé, plus de 100 000 euros, sans toutefois que leur efficacité soit garantie. D’autres études aboutissent à la destruction pure et simple de la chaussée des moulins ce qui entraîne de fait leur disparition. Alors que la loi devrait être appliquée en 2017, les études se poursuivent et les travaux ne sont toujours pas définis. Pour sa part, Lucie Lamy continue d’assurer le passage des poissons à l’ancienne en manœuvrant les vannes. Elle précise « quant aux anguilles, ce n’est pas un moulin qui va les arrêter, j’en ai vu grimper aux murs pour passer de l’autre côté ».
Roger Peuron
(1) En fait, la 5e vanne est une vanne de décharge, comme la 3e, qui fonctionne quand celle-ci ne suffit pas. Le déversoir est indépendant. Son circuit contourne le moulin.