Elegance sans outrance
Fabriquer un chapeau ? Tout un art maitrisé par Michèle Françoise Mehring, modiste aux Chartrons, à Bordeaux.
Propos recueillis par Marie Depecker
Ambiance feutrée et intime : toutes les couleurs, les formes et les plus belles matières se sont donné rendez-vous ici pour offrir aux femmes, parfois aux hommes, le chapeau rêvé. C’est dans son atelier, Créations pour soie, rue du Faubourg des Arts à Bordeaux que Michèle-Françoise conçoit et confectionne ses pièces uniques et reçoit L’Observatoire.
— L’Observatoire Comment est née votre vocation ?
— C’était le métier de ma mère. J’ai appris auprès d’elle, même si elle l’a surtout pratiqué pour sa famille. Mais c’est à 41 ans seulement que j’ai décidé d’abandonner la banque et la communication pour suivre la formation de modiste à Paris et à Lyon. Une bonne connaissance technique est indispensable avant de songer à la création.
— Pourquoi avez-vous choisi un atelier rue du Faubourg des Arts ?
— Je suis bordelaise, c’est ma première installation et ce sera la seule je pense. Les petites salles voûtées des anciens chais De Luze m’ont tout de suite plu. Je travaille ici depuis 15 ans à côté d’autres créateurs par exemple une restauratrice de porcelaine, un artisan du cuir, des graveurs sur bois, une restauratrice de tableaux... Au total cette rue atypique accueille 12 ateliers d’artistes ou d’artisans.
— Comment élaborez-vous vos chapeaux ?
— Je travaille beaucoup sur commande. Je reçois les clientes ici. On bavarde très simplement. Un climat de confiance et d’intimité se crée. Car les clientes sont souvent inquiètes à l’idée de porter un chapeau, elles craignent le regard des autres. Pour un mariage ou une circonstance particulière, c’est en général la dernière touche de la tenue finale. Je propose des chapeaux à essayer pour trouver celui qui s’harmonise le mieux avec le visage, la couleur des yeux et des cheveux, le vêtement et la personnalité de la cliente. J’évite l’outrance il faut que les femmes soient à l’aise, comme avec leur robe ou leurs chaussures, le chapeau ne doit pas être une gêne et il doit mettre en valeur. Je fais un croquis et quand nous sommes d’accord sur le modèle, il me faut en moyenne 10 heures de travail, j’essaie d’atteindre à chaque fois la qualité haute couture.
— Quelles sont les matières que vous aimez travailler?
— Pour les capelines*, principalement des feutres mérinos ou du sisal mais aussi la soie, la mousseline, les plumes et les perles pour les garnitures. Pour mes collections d’hiver, le cachemire par exemple. Je vais régulièrement à Paris chez mes fournisseurs pour choisir mes tissus.
— Quels sont les prix moyens de vos chapeaux ?
— Entre 100 et 400 euros pour des événements d’exception mais je fabrique aussi des petites parures autour de 50 euros et je peux aussi en louer pour un événement ou une soirée.
— Travaillez-vous seule ?
Oui c’est vrai je travaille seule mais j’ai beaucoup de contacts et d’échanges : je participe à des collectifs comme Instant Mariage ou Au sein des femmes où je crée des chapeaux pour des personnes qui ont une calvitie après un cancer du sein, je suis à l’origine de Gravelor qui regroupe des créateurs de tous horizons, je participe bien sûr à des salons, je travaille parfois pour le théâtre, j’ai fabriqué un masque baroque pour Éric Samson qui joue actuellement Casanova au Petit Théâtre.
— Comment transmettez-vous votre savoir-faire ?
Je n’ai pas d’apprenti mais dans l’esprit de mon grand-père qui était maître charpentier et compagnon du devoir, j’aime sensibiliser les jeunes à mon univers : j’ai accompagné des lycéens qui devaient élaborer un chapeau pour une épreuve d’arts appliqués présentée au bac et j’organise des stages dans mon atelier.
Jusque dans les années 1960 ne pas porter de chapeau était inconvenant. Dans les années 1970, les femmes préféraient avoir les cheveux au vent. Mais aujourd’hui, le chapeau est de nouveau désiré. Michèle-Françoise vous attend pour vous confectionner le chapeau qui vous ira comme un gant. Marie Depecker
*Une capeline est composée de deux parties la calotte et le bord.
Michèle-Françoise moule ses capelines sur des formes en bois sculptées à la main par Lorenzo Ré, dernier formier artisanal en France, l’homme sans qui il n’y aurait pas de chapeau…de modiste. C’est lui qui sculpte les formes folles et extravagantes imaginées par les plus grands couturiers. Il faut une journée de travail complète pour réaliser une forme simple. Lorenzo scie, coupe, ajuste et ponce jusqu’à ce que la forme soit parfaite. Le bois est verni et signé avant d’être livré.