Un réalisateur hors cadre
Loin des circuits officiels et classiques, il existe tout un monde de passionnés qui créent des films avec des bouts de ficelle.
Julien Ivanovitch, réalisateur de films de genre1 est en plein tournage de son second long-métrage Ultimate Chabite2. Il nous ouvre les portes de son studio à Saint-André-de-Cubzac pour nous parler de sa passion pour la réalisation avec sa société de production Carnages (Cinéastes associés réunis pour de nouvelles aventures géniales extravagantes & saugrenues) dont l'intitulé résume bien sa vision du cinéma.
— L'Observatoire : Quel est votre itinéraire ?
— Julien Ivanovitch : Après un DUT informatique et imagerie numérique, je me suis retrouvé à Paris dans une start-up qui a malheureusement coulé après les attentats du 11 septembre. S'en est suivi une suite d'intérims à Vichy comme assistant de gestion de réseau et à Monoprix puis une année de faculté à Paris VIII en art et technologie de l'image. Finalement je suis devenu gestionnaire d'une maison de production. Fatigué d’être enfermé dans ce carcan professionnel et de ne pas pouvoir réaliser moi-même des vidéos, j'ai décidé de repartir sur d'autres bases et c'est ainsi que j'arrive à Bordeaux en 2014 avec femme et enfants.
— Quelle a été votre démarche ?
— J'ai tout de suite cherché à m'intégrer dans le monde du spectacle. La première étape a été de participer à Théâtr'action3. J'y ai rencontré des comédiens formidables qui m'accompagnent encore aujourd'hui dans mes réalisations. Ils sont le noyau dur de mon équipe. Je n'ai pas tardé à participer aux Kino session (voir encadré), ce qui m'a permis de montrer mes premiers courts-métrages réalisés grâce au support technique et humain des membres de l'association. Nous en avons ainsi réalisé une quinzaine, Victoire nominé et primé à Los Angeles, Douce Nuit etc.
— Quelles sont les étapes suivantes ?
— L'envie est née d'aller plus loin et de faire un long-métrage. 2020 voit la sortie de Blondie Maxwell ne perd jamais, film dont le synopsis peut se résumer ainsi : dans un futur proche où la justice a été entièrement libéralisée, Blondie Maxwell est détective privée et vit de petites enquêtes à la pige. Il faut avouer que cette production a été faite pour notre satisfaction personnelle d'avoir mené le projet au bout. Á cet instant-là, notre philosophie était de nous faire plaisir.
Nous terminons notre second film, Ultimate Chabite. Cette comédie au titre provocant met en scène quatre copains qui lancent un jeu, au demeurant débile, mais qui va conduire au délitement de la société. Il est drôle, jamais vulgaire mais certainement décalé. C'est une idée que nous poussons à l’extrême mais qui est traitée avec énormément de sérieux.
— Comment s'est construit votre projet ?
— Le budget de notre dernière production va se situer entre 10 000 € et 15 000 €. Pour se faire, nous avons lancé un financement participatif qui a réuni 3 300 € et qui vient s'ajouter à un appel de fond antérieur de 2 000 €. Ces sommes sont utilisées pour financer la régie en charge de gérer l'organisation et la logistique du tournage (cantine), l'achat de matériel (carte graphique) et la location de lieu de tournage. Par exemple la location de l'amphithéâtre de la faculté de médecine, place de la Victoire, a coûté 900 € pour 2 jours. Un autre flux financier vient de mes réalisations de documentaires : films de promotion touristique aux quatre coins de l'hexagone, films promotionnels pour des entreprises, films pour des partenaires institutionnels comme la fondation Varenne (association qui récompense et encourage des journalistes).
Enfin, chaque vue sur des plates-formes de streaming comme Amazon où se trouve Blondie Maxwell, génère des royalties mais c'est peanuts au regard des sommes engagées. Nous ne faisons pas appel aux subventions des institutionnels régionaux car nos formats de film ne correspondent pas aux critères actuellement en place pour en bénéficier.
— Quelles sont les conditions de tournage ?
— Les tournages se font le week-end, les acteurs viennent du théâtre mais n'en vivent pas, à part un ou deux. Les autres sont professeur des écoles, serveur etc. Tant que le film n'est pas commercialement rentable, toute notre équipe est entièrement bénévole. Nous nous organisons pour que ces moments soient chaleureux et conviviaux. Le jour où nos productions dégageront des bénéfices, nous les défraierons en fonction du degré de leur participation. Dans une logique d'économie, je fais appel à ma famille, mes amis pour trouver le cadre de mon tournage sauf cas d’espèce comme pour l’amphithéâtre.
Nous avons prévu quarante-cinq jours de tournage à raison d'un week-end par mois, il ne nous reste plus que trois jours d'enregistrement. Les dernières scènes seront tournées à Saint-André-de-Cubzac. Ensuite viendra la période de post-production avec, entre autres, le montage des effets spéciaux. La promotion du film terminera le cycle.
— Quid des festivals ?
— Le fait d'y participer peut nous apporter une certaine notoriété et nous donner plus de légitimité mais n'engendre que peu de retombées économiques. Nous avons rarement présenté nos productions en France car nos films ne rentrent pas dans les critères. Cependant, nous avons un bon accueil à l'étranger notamment au Canada. Nous avons pu repartir avec quelques récompenses.
Nous sommes allés au festival de Cannes où il faut bien dire que les Français nous ont snobés, un représentant belge nous a écouté et conseillé et les Américains se sont montrés intéressés par notre produit. Des discussions sont ouvertes pour acheter le film mais ce ne sont pas des négociations faciles.
— Que souhaiteriez-vous ajouter en guise de conclusion ?
— Nous travaillons avec des bouts de ficelle mais avec un souci de qualité du travail. J'ai envie de faire des films, de passer du court-métrage au long-métrage et de sortir du cercle restreint de la famille et des amis pour atteindre un public plus large. Je veux m'inscrire dans la durée avec une motivation intacte.
* une référence au film de PierreTchernia
1 Jeu potache dérivé du traditionnel chat perché dans lequel l'un des participants doit toucher un de ses camarades de jeu sur les parties génitales, en criant « chat-bite ! ».
2 Il est souvent synonyme de cinéma de divertissement. Il peut être associé aux notions de série B, de film de science-fiction, d'aventure, d'horreur.
3 Créée par le metteur en scène allemand Jürgen Genuit, Théâtr'action Bordeaux développe ses activités autour de 3 axes : la création artistique, la confrontation des langues et des cultures, l'engagement citoyen et social.
Bernard Diot
Kino Session est une association ayant vu le jour à Bordeaux en 2005, elle prend sa source dans un mouvement mondial, Kino, fondé au Canada en 1999. Il repose sur une approche opposée à l’industrie du court-métrage en général. En effet, véritable outil de création, Kino Session propose la projection de courts-métrages répondant à un thème choisi au préalable. L’esprit réside dans plusieurs choix bien marqués comme l’absence de compétition entre les participants. L’association propose même matériel, costumes et accessoires afin de permettre à tout le monde de s'exprimer, un genre d’école alternative du cinéma.