La dame de la Grande Poste
Au 7 rue du Palais Gallien, siège un lieu multiculturel, très en vogue aujourd’hui, à 2 pas de la place Gambetta. Marilyne Minault y a créé une Cour des Miracles moderne (au bon sens du terme) inaugurée en décembre 2016.
Jusqu’au début du XXe siècle, ce lieu était pour les Bordelais la Grande Poste. Aujourd’hui, le voilà transformé en un espace improbable par Marilyne Minault, sa propriétaire qui le gère avec ses cinq fils. Improbable ? L’adjectif correspond bien au parcours totalement inattendu de sa fondatrice qui a sauté sans transition du logiciel médical à la scène de spectacles incontournable, en trois petites années. Une scène qui s’épanouit grâce à la ténacité et au professionnalisme d’une famille soudée comme les doigts de la main.
En 2014, quand elle s’installe à Bordeaux, Marilyne tourne la page de son passé en Médoc, lesté de mauvais souvenirs. Le temps est venu pour elle de concrétiser son vieux rêve de théâtre populaire avec l’aide de son fils aîné qui sort du prestigieux Cours Florent. Elle tombe par hasard sur la Grande Poste alors vacante ! La famille s’éprend de ce lieu rétro dont le dôme impressionnant diffuse une lumière magique. L’architecte Jean Louis Validié crée une salle de 600 places (debout), un restaurant de 200 couverts, un bar et des petits salons. À l’étage où l’on accède par un escalier double, le style Art Déco est totalement maintenu et les espaces créés dans la coursive deviennent des échoppes à louer. Tout ça en 245 jours !
Au gré du spectacle
23 salariés font tourner cette grosse machine qui ronronne en famille. Les fils assurent tout : programmation, communication, graphisme, régie, salle mais Marilyne supervise. Elle a un chef renommé aux fourneaux, Christophe Cappi, dont la carte change tous les mois ; il y a même une dégustation-présentation de celle-ci en début de mois pour cinq euros.
Sur scène, alternent pièces de théâtre, cabaret, humour, musique, spectacles de magie, hypnose, danse. Pour les Minault la culture appartient à tout le monde. Ils aiment aussi innover et découvrir, donner une chance ou un coup de pouce aux artistes.
La salle se transforme au gré du spectacle : on pousse les tables, on ajoute des chaises, le public met la main à la pâte.
Le brunch du dimanche fait salle comble, les parents écoutent le concert et les enfants gambadent, la tartine à la main.
C’est le théâtre qui attire le plus de monde ; à 20 ou 16 euros la place, le tarif décoiffe. Maxime, chargé de la programmation est celui qui teste, il aime varier les genres pour plaire au plus grand nombre.
Fidèle au Médoc, il fait ainsi venir le cabaret de Couquèques (Voir L’Observatoire n° 110) tous les 2 mois.
À l’étage, les échoppes à louer accueillent des exposants variés au mois ou à la journée : créateurs ou artistes
On peut même y organiser des réunions, des séminaires à l’instar de Coca cola, L’Oréal ou Bordeaux Métropole. Car cet espace improbable est aussi devenu incontournable.
Toutes les photos sont de D. Sherwin White
L’histoire
La Grande Poste est certes un lieu emblématique bordelais mais il est surtout chargé d’histoire. À l’origine, on trouve trace d’une chapelle puis d’un hôpital aux XIIe et XIIIe siècle.
Le bâtiment que nous connaissons aujourd’hui a été édifié au XVIIIe siècle pour recevoir le Grand Séminaire, à l’étroit à Saint-Siméon. À la Révolution, le bâtiment fut confisqué pour devenir La maison nationale à proximité de la place Dauphine et de sa guillotine : les sous-sols abritaient la prison pour les religieux et les riches négociants. Fortement détérioré il devint une usine d’armement puis un lieu d’accueil pour les colons fuyant la Révolution de Toussaint Louverture. Napoléon le transforme en Hôtel des Monnaies en 1801 puis en 1893, c’est l’Hôtel des Postes qui s’y installe. Classé Monument Historique en 1911, c’est en 1990 que la Poste le quitte pour des locaux plus fonctionnels à Mériadeck. Un promoteur rachète l’ensemble en 2004 et y aménage des résidences de standing. Des sociétés y établissent temporairement leurs bureaux.
Restait le cœur à prendre, c'est Marilyne qui l’emporte !
Édith Lavault
*Vidal : dictionnaire des médicaments utilisé par la totalité de la profession médicale
Marilyne
Marilyne est née dans un milieu très modeste à Vensac au fond du Médoc, là où on cumule les mauvais points. Comme elle le raconte dans son livre*, la pauvreté est partout, le confort n’existe pas, et elle est très vite confrontée à la difficulté d’être une fille intelligente et hors normes dans un milieu traditionnel rural. Après un BTS d’électromécanicienne obtenu de haute lutte, elle se perfectionne en informatique par des cours du soir. Elle rencontre son mari chez Thomson à Mérignac où elle effectue un stage : lui aussi se lance dans l’informatique et la programmation. En parallèle de leurs jobs, ils travaillent sans relâche sur un logiciel médical à la demande de leur médecin. En 1990, l’outil est au point. Animée d’un culot monstre et d’une foi à déplacer toutes les dunes, Marilyne l’impose à la FNAC puis fait le siège du directeur de la maison Vidal*Avec son conjoint, les voilà lancés à courir les salons spécialisés en milieu hostile. Ils s’imposent, quoique n’étant pas du sérail car leur logiciel Hellodoc est tout simplement le meilleur. En 1995, ils deviennent leader français, développant une vraie culture d’entreprise inédite à ce moment-là. Les difficultés de trésorerie, les responsabilités de management auxquelles s’ajoutent l’éducation de cinq enfants s’alourdissent encore au coup de tonnerre de la maladie de Philippe en 1999. Marilyne gère tout cela seule et loin de baisser les bras, se consacre à la société, assure le lancement de filiales en France et s’installe à Soulac. Malgré le décès de Philippe en 2009 elle tient ferme la barre du bateau Minault qui, sans l’entraide familiale, aurait coulé. En 2014, quand Marilyne cède la Société, 130 salariés y travaillent et 27 000 logiciels ont été vendus.
Depuis, outre la Grande Poste, elle possède plusieurs sociétés dans l’immobilier, elle gère une fondation pour découvrir et aider les jeunes talents dans le sport, la suite de son livre est sur le feu et elle expose ses peintures dans une des échoppes de la Grande Poste. Chez elle. "Passionnés" éditions de l’Océan