Mer et marine, vieux couple
Un nouveau et vaste musée privé, à Bordeaux, met en valeur de riches collections consacrées à la mer et à la marine
Le Musée Mer Marine, dernier né des musées bordelais, a été inauguré le 16 juin 2019. Il est installé auprès des bassins à flots, à proximité de la Cité du Vin et de la base sous-marine. L’édifice de 13 000 m2, est signé par l'architecte bordelais Olivier Brochet. Le musée a été imaginé et financé par le promoteur immobilier Norbert Fradin, féru de culture et d'histoire, mais aussi amoureux de la mer. Il souligne : « C'est un projet passionnant, parler de la navigation et de son histoire, de l'histoire des océans, c'est quelque chose de formidable, le sujet est presque infini. » Il a choisi Bordeaux, car : « Sans son fleuve la ville n’existerait pas. » L’exposition permanente est établie sur deux niveaux et occupe 6 000 m².
Comme un trophée
Ce musée retrace l’histoire des relations des hommes avec la mer, depuis les débuts de la navigation jusqu’à l’exploitation de ses ressources, en essayant néanmoins de la protéger. Pour ce faire, il présente dans une scénographie moderne, de très nombreuses maquettes, des plans, des cartes, des objets de marine, des tableaux, etc., appartenant quasiment tous à Norbert Fradin.
Pour évoquer des thèmes d’actualité, comme l’exploitation exagérée et la pollution des océans ou encore l’immigration, le musée fait appel à des œuvres d’art contemporaines. Démarche originale par rapport à d’autres musées. Aussi, la visite proposée fera la part belle à trois de ces œuvres.
Sur le parvis, une statue monumentale de Philippe Pasqua, intitulée Who should be scared ?, Qui devrait avoir peur ? accueille le visiteur. Elle représente un requin mort de 7 m de long pendu à une potence par la queue, comme un trophée de pêche. En acier inoxydable, elle brille sous les rayons du soleil, en cette belle journée d’hiver. Terrassé ce monstre ne fait plus peur. L’artiste veut ainsi dénoncer la tuerie abusive de ces poissons. La peur a changé de camp.
Actualité
Dès l’entrée, une flottille de plusieurs dizaines de maquettes de voiliers suspendues, comme des ex-voto au plafond d’une église, constitue une sorte de colonne vertébrale de l’exposition, un point central. Les bateaux sont faits pour flotter et pourquoi pas dans les airs ?
Au cours de son cheminement, une œuvre intitulée Road to exile, de Barthélémy Toguo, attire l’œil du visiteur. C’est une grosse barque surchargée de ballots multicolores et de bouilloires pour préparer le thé. Elle est posée sur un tapis de bouteilles à la mer et symbolise le voyage de milliers de migrants cherchant à réaliser leur rêve d’une vie meilleure.
C’est toujours une accumulation de réflexion et de sentiments de peur qui pousse à quitter sa famille, sa communauté, son pays, pour, au risque de sa vie, partir à travers l’océan vers l’inconnu, en espérant atteindre des rivages plus accueillants. Ce qui est loin d’être toujours le cas, comme le dit Titouan Lamazou, navigateur et artiste de l’UNESCO pour la paix : « Si la France, l’Europe et le monde ouvraient leurs frontières, acceptant ainsi de partager les “fruits de la terre” dont parlait Rousseau, nous vivrions beaucoup mieux. […]. Migrations de la misère et des conflits ou migrations engendrées par le dérèglement climatique relèvent d’une même cause : la course au pouvoir et à la richesse d’une infime minorité d’entre les hommes qui fait et fera payer infiniment cher son appétit au reste de l’humanité. »
Ils sont trois, parmi d’autres certainement, à être arrivés à Bordeaux par la mer où ils se sont établis.
Dang Thi Phat, alors professeur d’anglais, et 23 membres de sa famille ont embarqué sur un bateau pour fuir le Vietnam en avril 1975. « […] On savait juste que l’on avait peur et que l’on cherchait à quitter Saigon. Le voyage s’est organisé très rapidement […].On ne pensait à rien si ce n’est qu’on allait mourir. » Après, avoir transité par les USA, elle gagne Bordeaux où elle joint sa sœur. Elle est embauchée chez Ford comme ouvrière. Pugnace, elle gravit les échelons et termine sa carrière comme secrétaire de direction.
Alpha Kaba[1], journaliste guinéen dans une radio locale, a fui des menaces de mort en 2013 pour tenter de rejoindre l’Europe. Il passe par le Lybie où il est réduit en esclavage par des milices. En octobre 2016, il embarque, avec 150 migrants sur un zodiac qui manque de couler. Ils sont secourus par le navire humanitaire Aquarius. Après avoir quitté l’Italie en franchissant un col alpin dans le froid, Alpha arrive à Bordeaux. En 2019, après un an et demi de démarches et une année de formation à l’IJBA[2] le droit d’asile lui a été accordé.
Alors que sa famille fuit son pays l’Angola, sa mère accouche, en pleine mer, sur un radeau de fortune. Ce qui vaut au nouveau né, Rio Mavuba, de porter un bracelet « né en mer ». Footballeur formé aux Girondins de Bordeaux. Toujours apatride il intègre l’équipe de France espoirs ce qui accélère sa naturalisation. Il est ensuite appelé en équipe de France A. il met fin à sa carrière en 2018.
Plus loin, cette gigantesque tortue de bronze, Santa Muerte, œuvre de Philippe Pasqua, prise au piège dans un filet de pêche évoque la tragédie des animaux marins en voie de disparition. « Je voulais qu’elle soit comme une déesse recouverte d’or » indique l’artiste.
En 1859, Charles Darwin décrit les interactions entre les différentes espèces vivantes et leur environnement. Le concept d’écologie est né. Il se développe à partir des années 1960-1970. Aujourd’hui, l’écologie est un phénomène sociétal tentant à faire naître des réactions collectives et individuelles, devant mener la société à un développement plus durable et plus responsable.
À travers le temps et l’espace
Outre ces faits d’actualité le musée présente le passé du couple mer marine à travers les siècles et dans tous les océans.
Difficile de dire à quel moment les hommes ont éprouvé le besoin de se doter de moyens pour aller sur l’eau, afin de découvrir d’autres terres, de pêcher ou encore de commercer. Il semble que leurs premières tentatives remontent à plus de 100 000 ans. Mais les bateaux les plus anciens, découverts lors de fouilles, ne datent que de 10 000 ans au plus. Ils sont généralement creusés dans des troncs de bois.
Passant d’un objet à l’autre le visiteur découvre cette longue et passionnante histoire qui a mené les premiers navigateurs en Méditerranée à franchir les colonnes d’Hercule pour des océans mystérieux. Il côtoie ensuite les grands navigateurs et leurs découvertes, les migrations européennes vers les Amériques, la construction navale, le commerce maritime et les guerres, les grands ports comme Bordeaux, la voile sportive, etc...
En général, les musées maritimes se consacrent, soit à la mer, soit à la marine, l'originalité du musée de la mer et de la marine de Bordeaux consiste à traiter les deux thèmes à la fois, conformément aux souhaits de son promoteur.
Roger Peuron
[1] Voir L’Observatoire n° 112, Les chemins de l’exil
[2] Institut de journalisme de Bordeaux Aquitaine
Toutes les photos sont de R. Peuron