Constructions en rondins de bois, modernité ou tradition?

par Muriel Braine

M. Braine
M. Braine

Une véritable curiosité architecturale : l’empilage de troncs d’arbre pour faire une maison

 

Les murs de la maison que construit Jérémie Tuvache, aux portes du Périgord, près de Sainte-Foy-La-Grande, ne sont que de troncs d’arbres emboités horizontalement les uns sur les autres et entrecroisés à angle droit. Il s’agit d’une construction à empilage appelée fuste ou maison en rondins basée sur une technique ancienne, maitrisée par une centaine de personnes en France (voir encadré). Ces maisons écologiques, durables, au charme indéniable, connaissent depuis quelques années un regain de succès.

 

Loin des standards

Pour mieux comprendre ce que sont les maisons en rondins et pourquoi elles fleurissent, nous sommes allés rencontrer Jérémie Tuvache, jeune fustier de 35 ans dans son antre. Loin de la ville, sur une route de campagne aux belles couleurs d’automne, à quelques mètres en bordure de la petite route, on aperçoit les premiers rondins empilés qui forment l’esquisse de sa future maison.

À côté de la maison en construction, on aperçoit des dizaines de troncs stockés qui attendent d’être travaillés et empilés. Jérémie m’explique que 1000 mètres linéaires de troncs sont nécessaires pour réaliser une fuste de 100 m2. Et contrairement aux anciennes maisons à empilage dont les ouvertures étaient minuscules, il envisage une grande porte, des fenêtres dans chaque pièce et une large baie vitrée côté sud.

 

Un travail d’artiste

La tronçonneuse et la grue sont ses joujoux du quotidien. La première étape consiste à sélectionner les troncs de pin Douglas sur pied, chez son fournisseur. Une fois le bois reçu, il les écorce, choisit les troncs à empiler, les organise en fonction de leur courbure puis monte les troncs écorcés niveau par niveau. À l’aide d’un compas spécial, il trace les entailles et la saignée de superposition appelée « gorge ». « Il est important, me dit-il, de prévoir du jeu sur chaque débord car avec le temps, le bois va sécher et se rétracter. »

Une fuste se monte et se démonte. Le fustier réalise donc une commande chez lui. Une fois terminée, il démonte la maison puis la remonte chez le client.

La technique semble bien rodée quand on voit Jérémie travailler mais il est certain que monter une fuste n’est pas à la portée de tout un chacun car il faut bien connaitre le bois et savoir travailler avec précision et dextérité.

 

Un projet écologique et durable

Mon interlocuteur souligne : « Une maison en rondins de bois est un projet écologique. Les fustes peuvent durer plus de 150 ans, sans entretien là où le parpaing commence à se fissurer au bout de 50 ans » et me précise « Le bois absorbe le CO2 pour grandir et devient un isolant naturel alors que le parpaing n’isole pas et sa fabrication rejette du CO2 dans l’atmosphère ! »

Mais n’oublions pas qu’il faut près de 40 ans pour qu’un arbre repousse. Ainsi, pour que le projet soit écologique et ne participe pas à la déforestation, encore faut-il s’assurer que le bois provienne d’une filière qui gère et replante la forêt. Le choix du fournisseur de bois est donc essentiel à l’écosystème mis en place.

Quant aux clients, Jérémie m’explique que ceux qui s’arrêtent sont des curieux ou des amoureux de l’esthétique des maisons en rondins. Ainsi, la relation avec ses interlocuteurs est riche et intéressante, loin d’une relation commerciale standard.

Pour Jérémie, c’est une passion et un projet de vie qui s’inscrivent dans le long terme. Il est difficile de dire si tous les fustiers partagent la même philosophie. Toujours est-il que dans un périmètre de 100 km autour des anciennes maisons à empilage de poutres du XVe et XVIe siècle, les curiosités architecturales du XXIe siècle se multiplient pour le plus grand plaisir des amoureux de la nature.

 

Fuste vient du latin fustis, « fût ». Bien qu’atypiques en France, il y a des fustes dans toutes les régions de l'hexagone. D'abord utilisées comme remise ou grenier à foin, les fustes sont aujourd'hui employées comme habitation principale ou en location saisonnière.

Il existe une fédération française du métier de fustier. La plupart des fustiers ont lu les livres et suivi l’enseignement de Thierry Houdart, un des acteurs majeurs du développement du métier de fustier en France. Pour suivre cette formation qui ne dure qu’une semaine, il faut auparavant prouver que l’on sait manier la tronçonneuse et que l’on connaît son sujet ! Les essences de bois employées par les fustiers dans l’hexagone sont des résineux, principalement du pin Douglas, du mélèze ou de l'épicéa provenant de forêts locales.

Le prix d’une fuste est essentiellement lié à la main d’œuvre ; le coût du bois est marginal. D’après la fédération des fustiers, à complexité égale, le prix d'une fuste est comparable à celui d'une construction en maçonnerie.

 

Mystère des maisons à empilage de poutres du Nord-Agenais

53 maisons à empilage des XVe et XVIe siècles ont été recensées il y a une quarantaine d’années dans le Nord-Agenais. En dehors des bastides, le Haut-Agenais agricole se caractérise par un habitat hétéroclite constitué de granges étables basques, de fermes-bloc en terre du Limousin, de maisons en hauteur du Quercy, mais pourquoi ces quelques maisons à empilage ? Certaines sont classées monuments historiques mais toutes font partie du patrimoine architectural agricole du Sud-Ouest. Quelques-unes comme celles de Sainte-Sabine-en-Born ou de Villeréal ont été restaurées mais la plupart d’entre elles sont en mauvaise état, faute de budget ou abandonnées.

Les maisons à empilage ressemblent à de grandes cabanes. Elles sont composées de poutres en bois de chêne équarries, empilées horizontalement pour former une base rectangulaire d’environ 12 m de long sur 8 m de large. En façade, une porte et de minuscules ouvertures. Le toit est généralement en bardeaux de bois. Nous serions dans un pays du Nord ou au Canada, rien d’étrange, mais que viennent-elles faire dans le Lot-et-Garonne et en Dordogne ? Leur histoire reste assez mystérieuse.

 

Guerre et viticulture

Une des explications a été donnée par Jacques Clémens, professeur à l’Université de Bordeaux, il y a plus de 30 ans. Pour lui, la création de ces maisons est liée au déboisement provoqué par l’extension de la viticulture et la fabrication d’eau de vie qui commence dès le XIIIe siècle et s’intensifie au XVe et XVIe siècles. Le bois disponible en abondance aurait été utilisé pour bâtir les maisons à empilage.

L’Agenais et le Périgord ont été par ailleurs dévastés par la guerre de cent ans et une épidémie de peste. Ils connaissent alors deux périodes d’immigration entre 1472 et 1485 puis entre 1515 et 1530. Pour favoriser le repeuplement, les seigneurs et les abbés ont accordé des terres à des familles du Massif central ou du Poitou sous condition de les défricher et de bâtir une maison.

Ces explications nous éclairent sur l’usage du bois mais ne répondent ni à la question du faible nombre de maisons à empilage de poutres, ni au choix de la technique utilisée. Certaines de ces maisons ont-elles disparue ? Ont-elles été recouvertes ? Par ailleurs, il suffit d’une hache pour créer les poutres, peut-être est-ce la raison pour laquelle ces curiosités architecturales ont vu le jour.

 

Toujours est-il que la présence de ces maisons, 5 siècles plus tard, est un témoignage vivant de la qualité de la technique utilisée et de l’usage du bois dans la construction ! On espère donc longue vie au travail des fustiers du XXIe siècle !

Une maison à empilage de poutres de Sainte-Sabine-en-Born (Natureln)

Un fustier en plein travail (M. Braine)