Le rugby au féminin
(Photos de R. Peuron)
« Sport de voyous joué par des gentlemen », dit-on, il attire néanmoins de plus en plus les filles.
Un mercredi de mars 2015, 19 heures 30, stade Albert Galinier de Bruges, les joueuses de rugby de l’Entente sportive Blanquefort Bruges s’apprêtent à participer au premier entraînement de la semaine, le second aura lieu vendredi à la même heure. Laurent, un entraîneur dynamique, appelle les plus jeunes autour de lui, et c’est parti pour 2 heures d’activité intense. Elles sont une vingtaine dont Suzanne et Pauline, deux amies venues de Saint-Médard-en-Jalles, à une petite dizaine de kilomètres, mais d’autres viennent de bien plus loin, comme Sandy qui fait la route depuis Libourne. En effet, faute d’un nombre suffisant de joueuses, le total des équipes féminines est faible à Bordeaux et dans son proche environnement, chacune est donc amenée à couvrir une zone géographique étendue.
Les valeurs
Avant d’opter pour le rugby, Suzanne, jeune fille de 17 ans bientôt, a découvert la danse, le poney et l’escrime. Mais son environnement familial, grand-père et père joueurs puis entraîneurs et oncles également joueurs, l’a rattrapée. Si bien que, depuis deux saisons, elle opère comme ailier.
Pauline, 18 ans depuis quelques mois, a débuté à 14 ans, elle en est à sa cinquième saison. Pour elle, pas d’antécédent rugbystique, son papa est davantage intéressé par le handball. C’est le bouche à oreille d’amies qui l’a décidée. Pas très grande et un peu râblée, elle joue comme pilier.
Autant les papas ont été enthousiastes, autant les mamans étaient plus réticentes, surtout celle de Pauline qui, maintenant encore, est inquiète lors de chaque match, elle craint les coups que pourrait recevoir sa fille !
Leurs amies ne sont guère surprises par leur choix. Les garçons sont surtout étonnés et un peu moqueurs pour certains. Ils ont tendance à les taquiner : « J’ai peur que tu me fasses un méchant plaquage. »
Toutes les deux, comme les garçons, sont portées par les valeurs véhiculées par ce sport collectif :
- la coopération entre partenaires, mais aussi le respect d’autrui à travers l’arbitre et les adversaires.
- le combat collectif et les affrontements physiques qui impliquent le courage individuel et la solidarité.
- le goût de l’effort pour soutenir la condition physique et la cohésion du groupe.
Débuts difficiles
En 1972, le secrétaire d'État à la jeunesse, aux sports et aux loisirs, Marceau Crespin, adresse une circulaire à ses services pour déconseiller avec force la pratique du rugby féminin.
En dépit de ce climat difficile, quelques pionnières réussissent à s'organiser dès 1969. Elles déposent à Toulouse les statuts de l'Association française de rugby féminin (AFRF). Ce collectif crée, à partir de 1971, un championnat national. Elle devient ensuite, en 1984, la Fédération française de rugby féminin (FFRF) avec, cette fois, l'agrément du ministère des sports. Ce système perdure jusqu'en 1989, lorsque la puissante Fédération française de rugby (FFR) se décide enfin à prendre en charge le rugby féminin*.
Succès indéniables
Depuis que les filles participent aux compétitions internationales, elles ont de nombreux succès à leur actif. C’est ainsi qu’elles remportent quatre grands chelems en Tournoi des six nations : 2002, 2004, 2005, 2014. Cette année, lors de leur dernier match, les Bleues
réalisent une belle performance en venant s'imposer en
Angleterre (21-15) et font ainsi tomber les championnes du monde en
titre chez elles. Le Tournoi 2015 est
remporté par l’Irlande qui écrase l'Écosse sur son propre terrain par un score fleuve (3-73). Si elles présentent le même bilan que les Bleues (quatre victoires, une défaite), les Irlandaises
disposent d'un meilleur goal-average général (+113 contre +69).
Il convient de citer également les places très honorables qu’elles ont obtenues en Coupe du monde depuis 1991.
L’intérêt de ce sport pour le public n’a pas échappé aux télévisions. Après le foot féminin, le rugby féminin deviendra-t-il le nouveau créneau porteur des chaînes payantes ou de celles de la TNT ? En tout cas, elles sont de plus en plus nombreuses à y consacrer des émissions.
Roger Peuron
*Près de 14 000 femmes possèdent une licence de rugby dans 200 clubs de l'Hexagone, soit trois fois plus qu'en 2003. Mais tout ceci ne pèse pas bien lourd par rapport aux hommes, puisque la FFR compte au total environ 450 000 licenciés.