Sur le bout du doigt
En France, toutes les 3 secondes, quelqu'un se blesse à la main. Cela n'arrive pas qu'aux autres, Vincent peut en témoigner.
« Vos deux mains sont vos outils les plus précieux. Alors, faites le nécessaire pour que cette mécanique si bien organisée fonctionne bien et longtemps. »
Ce conseil de la Fédération Européenne des Services d'Urgence de la Main (FESUM), Vincent le médite encore à son corps défendant, deux ans après son accident.
Aïe !
C'est la mi-mars, Vincent travaille dans ses vignes du Blayais. Aujourd'hui, c'est sécaillage, l'entretien d'hiver de la vigne, on plante des piquets neufs à l'aide d'un enfonce-pieu. Le viticulteur pose le piquet, la machine l'enfonce d'un coup de masse de 100 kg. La manœuvre est répétitive, l'attention s'émousse. Tout à coup, c'est le drame : le bout du majeur de Vincent est écrasé par la machine. Sidéré, celui-ci regarde son doigt en bouillie sans ressentir de douleur. Vite, il part pour l'hôpital le plus proche. La phalange est presque détachée du doigt et la douleur est maintenant lancinante. Après examen aux urgences, le verdict tombe « ici, on ne peut que vous amputer, dit l'interne, mais à l'Institut aquitain de la main, ils sauveront votre doigt, ils font ça tous les jours ! »
La décision est vite prise : Vincent est avant tout un travailleur manuel et il a besoin de ses dix doigts. Alors, vite, en route pour l'hôpital privé Saint-Martin, à Pessac.
Prise en charge
La Clinique de la main, Vincent en connaît la réputation, ce POSU (pôle opérationnel spécialisé dans les urgences de la main) est affilié à la fédération européenne. Ainsi, les patients sont assurés que chirurgiens et rééducateurs sont spécialisés dans ces pathologies et maîtrisent parfaitement les techniques microchirurgicales. L'Institut accueille 11 600 patients par an dont 7 600 pour des urgences qui vont du panaris à l'amputation de la main ou du bras. Dans ses 4 blocs, 7 chirurgiens et 4 anesthésistes peuvent intervenir 24 h /24, même la nuit de Noël où huîtres, volailles et bouteilles de champagne peuvent s'avérer redoutables pour les mains maladroites.
2 h après l'accident, Vincent est admis aux urgences à Pessac. 15 mn plus tard, il est examiné, radiographié, anesthésié localement, le tout dans un climat de détente et d'efficacité. Il discute même de vin pendant que le praticien recoud et panse !
Retour douloureux à la maison pour une semaine de soins infirmiers quotidiens avant l'opération de reconstruction de la phalange. 8 jours plus tard, le chirurgien raboute le mieux possible les terminaisons nerveuses gravement endommagées et agrafe l'ongle sur le dessus pour maintenir le tout. Au bout de 3 semaines de soins et pansements, il parachèvera son œuvre par une nouvelle intervention, La phalange aura retrouvé figure humaine et Vincent, une main d'aspect normal,
Alors, heureux ?
Deux ans après, Vincent a une belle main, mais une bonne main, ce n'est pas sûr...Le chirurgien, pourtant habile, n'a pas pu faire de miracle dans cette chair écrabouillée et la phalange mal innervée est toujours douloureuse et froide. Mais surtout, elle ne « répond » pas, elle ne « sent » pas les objets à tenir. La préhension est malaisée, ce qui provoque parfois des dégâts car la main traitée a aussi moins de force. Vincent a l'impression constante que son doigt se termine par un appendice étranger qui le gêne au lieu de l'aider. Heureusement pour ce droitier, il s'agit de sa main gauche mais il en vient à regretter son choix de sauvegarder son intégrité.
« De nombreux bouchers ou menuisiers ont des doigts ou des phalanges en moins. Ils gèrent mieux ce manque que moi cette phalange que je ne sens plus mienne. J'en viens presque à souhaiter en être amputé, mais cette fois, quel chirurgien accepterait de me soulager ? »
Un problème déontologique sans doute pour un praticien, mais un problème concret de vie quotidienne pour Vincent,
Le mieux serait-il parfois l'ennemi du bien ?
Claudine Bonnetaud