Quand l'île devient éden
Déjà dix ans que la nature sauvage s’épanouit sereinement sur l’île de Raymond. Un travail respectueux et patient permet la métamorphose de ce lieu inspirant où la nature part à la conquête de sa beauté originelle.
par Karine Sallafranque et photos de B. Petit
Pour découvrir l’écrin de nature délicat et authentique de l’île de Raymond, il suffit de passer le petit pont en fer forgé qui enjambe l’estey, un maigre bras asséché du fleuve. C’est alors que cette prairie humide dévoile ses charmes.
Ce lieu unique qui frôle le rivage de la Garonne entre Paillet et Rions joue un rôle précieux, écologique et humain, en filtrant les eaux avec son dense système racinaire et ses roseaux. Lors des crues, l’île amoindrit l’impact sur les terres inondées en jouant un rôle d’éponge qui absorbe l’eau et la restitue progressivement.
Faune et flore en harmonie
Il aura fallu une décennie pour opérer la métamorphose : d’un paysage uniforme de culture intensive de maïs en théâtre de verdure au sein duquel la nature s’exprime librement.
Bastien Campistron, technicien gestionnaire à la Communauté de communes Convergence Garonne, connaît parfaitement cet espace naturel sensible. Passionné par la vie sauvage, il travaille depuis dix ans à dynamiser l’île en favorisant l’accueil de la diversité d’espèces animales et végétales.
Placées sous influence des marées de la Garonne, la faune et la flore, spécifiques de cet endroit, vivent en harmonie. L’angélique des estuaires, Angelica heterocarpa, joyau à préserver, est un trésor fondamental pour le statut Espace naturel sensible de l’île. La cardère sauvage, Dipsacus sylvestris, piège des insectes dans ses feuilles coudées remplies d’eau : un vrai garde-manger pour les oiseaux, notamment les chardonnerets (espèce en déclin) qui se délectent de ses graines.
Bastien veille à créer des connexions entre plusieurs milieux pour offrir aux animaux des corridors écologiques. Pour cela, il observe les essences d’arbres présentes sur l’île, prélève des graines, les place en pépinières puis restitue les jeunes plants à la nature. Ainsi, les animaux profitent de ces corridors pour se déplacer vers différents milieux en fonction de leurs besoins comme se nourrir ou se reproduire.
En poursuivant la balade, les bottes glissent et s’enfoncent dans le sentier boueux. Bastien explique : « Ce sont les sangliers qui retournent le sol. Ils sont les bienvenus car ils mettent ainsi à jour de nouvelles graines qui pouvaient être en dormance dans le sol, ce qui va favoriser leur germination. » Il ajoute que ces animaux charognards, en se nourrissant de bêtes mortes, diminuent les risques sanitaires. Cinq sangliers, sédentaires à l’année assurent leur descendance sur l’île. Les autres (capables de traverser la Garonne à la nage pour rejoindre l’île) sont chassés au pistolet silencieux. On évite ainsi l’augmentation exponentielle du nombre des individus et on maintient une population basse, comme le ferait la nature avec des super prédateurs.
Plus de 200 espèces d'oiseaux
Dans la zone de quiétude, friche de 52 700 m² délimitée du reste de l’île par une ceinture végétale, la nature est souveraine. Une corde tendue au départ du chemin d’accès la protège des déambulations du public. Il s’y cache une mare qui accueille loutres, papillons, libellules et aussi des grenouilles, surveillées de près, car elles sont bioindicatrices : la présence de ces créatures exigeantes et fragiles signe un environnement de très bonne qualité.
Une multitude d’oiseaux, comme la bécasse des bois, la bergeronnette des ruisseaux, le petit chevalier, profitent de cet éden. Le martin-pêcheur et autres espèces de rivage s’abritent dans le talus proche de la mare pour y construire leur nid. Bastien précise que les oiseaux sont les premiers animaux à réinvestir des lieux écologiques redevenus sains et que l’on en dénombre plus de deux cents sur l’île.
D’ailleurs, cet observateur expérimenté s’interrompt pour nous faire remarquer la présence, sur la cime des arbres, d’un épervier, « à priori femelle, vu sa taille ». Le regard de ce passionné de nature est aiguisé, sa réactivité est vive et instinctive. Ainsi, en pleine explication, Bastien alerte soudainement sur la présence d’orites à longue queue virevoltant autour d’un arbuste. « Regarde ! Quand on en voit une, on en voit toujours dix autour. Elles vivent en famille ! »
Une infinité de secrets
Le suivi scientifique, dont le baguage des oiseaux, fait partie des missions de notre homme de terrain. Il assiste un bénévole du Muséum d’histoire naturelle de Paris qui installe des filets de baguage dotés d’une fine maille afin de capturer les oiseaux sans blessure. La bague, calculée par rapport au poids de l’oiseau, est fixée à sa patte, avec douceur et vélocité pour limiter le traumatisme. Cette « carte d’identité » permettra, par exemple, le suivi d’espèces migratoires.
Soudain, Bastien indique un vol de quelques hérons garde-bœufs, effleurant la prairie verdoyante. Ces échassiers blancs, « punks » opportunistes, arborent fièrement une crête orange sur la tête. Ils convoitent un insecte ou un campagnol qui aurait été dérangé par le déplacement d’un troupeau (lire par ailleurs) dont ils ne s’éloignent que rarement.
La berge fragile nécessite tous les égards. Notre expert prête main-forte à la forêt qui s’étire le long du cours d’eau et qui protège le rivage contre l’érosion grâce à son système racinaire. Pour aider cette forêt ripisylve1, il plante avec parcimonie de jeunes arbres sélectionnés dans la pépinière de l’île.
Il faut compter plus d’une heure pour faire le tour de l’île sur ce sentier qui longe en partie la berge. Marcheurs pressés, passez votre chemin ! La nature possède une infinité de secrets qu’elle partage avec les promeneurs attentifs et patients. Malgré le passé de l’île en monoculture intensive délétère pour l’environnement et les perturbations actuelles dues à une multitude d’espèces exotiques envahissantes comme l’érable negundo ou la balsamine de l’Himalaya, en se positionnant au service de la nature, les acteurs de terrain parviennent à redonner à cet espace naturel son identité d’écrin de nature délicat et authentique.
1 la forêt ripisylve est celle qui est présente sur les rives d'un cours d'eau, d'une rivière ou d'un fleuve.
Encadré
Des invitées de marque
L’île est divisée en huit parcelles occupées par les brebis Scottish Blackface de Sarah Dumigron. Ces animaux très rustiques s’adaptent facilement à des milieux humides et résistent vaillamment à des périodes chaudes et sèches.
Cependant, lors de forts coefficients de marée, quand l’île est recouverte d’eau (parfois jusqu’à 95 %), ou bien en période de canicule, Sarah ramène ses brebis et leurs petits à sa ferme située à Cabanac.
Cette éleveuse veille au bien-être de son bétail et à l’équilibre de la nature en suivant rigoureusement des mesures agro-environnementales comme les fauches tardives et la rotation des troupeaux dans les champs. Le partenariat avec le gestionnaire de l’île est primordial pour l’accueil bienfaiteur des troupeaux. Par exemple, Bastien veille à créer des bosquets à l’intérieur des prairies pour apporter de l’ombrage, qui serviront aussi de micro-habitats investis par une belle diversité animale. À noter que les brebis jouent un rôle salvateur sur le fragile équilibre du milieu car elles se nourrissent de légumineuses et de graminées, espèces envahissantes des herbages.