Cécile de Boris à Vladimir
Les tribulations d’une jeune française dans les années 1990 à Moscou.
Place Rouge, la cathédrale Basile le Bienheureux et le grand magasin Goum ( photo R. Peuron)
Les récits de voyage font la part belle à la richesse des paysages et des rencontres faites dans tous les pays du monde. Peut-il y avoir un côté obscur à ces descriptions idylliques ?
Le décor, le personnage
La Russie est le pays des extrêmes. Les températures sont extrêmes, les gens sont extrêmes dans leur comportement et leurs sentiments. Ils vous donnent tout ou vous dépouillent. Il y a rarement de milieu, tout est dans l’excès et la passion. Le rapport de force y prévaut, tout le monde se jauge et c’est le plus fort qui impose sa loi.
En deuxième année de russe, Cécile décide de partir à Moscou où elle se débrouille pour poursuivre ses études. Durant son séjour qui durera 6 ans elle sera professeur de français dans une école russe, traductrice anglais-russe dans un centre médical européen, employée aux visas au Consulat de Moscou puis à la gestion administrative du séjour des agents de l'Ambassade avant de finir assistante expatriée d’un conseiller scientifique de l’Ambassade. Elle nous parle d’événements qui l'ont particulièrement marquée.
Panique à l'hôpital
« Un jour, je suis prise de douleurs au ventre. J'appelle le 15 local qui diagnostique d'un regard un problème gynécologique grave nécessitant une hospitalisation. Le transfert se fait dans une ambulance digne d'un film d'Indiana Jones, véhicule brinquebalant avec des couchettes en bois. Arrivée à l’hôpital, je suis examinée par une bonne dizaine de médecins qui me triturent le ventre. Verdict : opération de l'appendice programmée pour le lendemain. Tout cela se fait en mimant d'une main une paire de ciseaux et en répétant « appenditsit, appenditsit… ». Affolée, j'arrive à leur expliquer que j'ai déjà été opérée et je leur montre ma cicatrice. Le chirurgien a beaucoup de mal à croire qu'il soit possible de faire une aussi petite incision. En Russie, le médecin doit toujours trouver quelque chose à prescrire, il me propose un klisma. Heureuse d'échapper à une opération. J'accepte. J'ai eu droit à un lavement. Je suis rentrée chez moi, riche de deux mots nouveaux : appendice et lavement.
À contrario, j'ai pu me faire corriger ma myopie suivant des méthodes d'avant-garde qui n'étaient pas pratiquées en France à cette époque. Les patients affluaient du monde entier pour subir ce type d'opération.
Sur l'Arbat, l'une des plus anciennes rues de la ville, le premier McDonald's de Russie. Il est de bon ton d'y inviter sa fiancée, surtout quand on se déplace en BMW ou en Mercédès! (photo R. Peuron)
Que fait la milice ?
Je dois remettre les événements dans leur contexte. À cette époque, les salaires des agents de l'État étaient versés d'une façon tout à fait aléatoire voire pas versés. Par exemple, en 1995, il y a eu une grande grève des mineurs en Sibérie, non pas pour conserver un statut quelconque mais pour ne pas mourir de faim. Ceci posé, je roulais sur une avenue moscovite, un milicien m'arrête pour avoir brûlé un feu rouge. Surprise car il n’y pas de feu rouge, je conteste le fait, mais la kalachnikov de l'agent me convainc de payer une amende, en liquide bien entendu.
L'évocation d'un autre démêlé avec la milice réveille en moi des souvenirs extrêmement pénibles. Un jour, je sors de mon immeuble, je suis plaqué au sol par un homme en civil. Je pense à une tentative d’enlèvement par des Tchétchènes, acte qu'ils pratiquaient régulièrement à l'époque. J’essaie de me débattre mais un revolver posé sur ma tête stoppe toute velléité de contestation. Des miliciens en uniforme sortent alors de mon immeuble et je comprends que j’ai affaire à la milice et je me laisse amener au poste. Je suis enfermée dans une cellule grillagée, en compagnie d'autres personnes. Deux hommes sont tués à coups de poings sous mes yeux. Je suis restée prostrée un long moment avec ces deux personnes baignant dans leur sang. Enfin une femme vient me chercher, je reprends espoir et ce cauchemar va prendre fin mais non, car elle propose à ses collègues de me violer, mais ils refusent car j'ai un passeport français. Néanmoins j'ai eu droit à une fouille au corps pour recherche de stupéfiant avant d'être libérée. J'ai noyé ce moment traumatisant dans un océan de vodka.
Ce récit n'est que la partie émergée d'un iceberg de chocs culturels, d’événements liés au terrorisme, de rencontres improbables allant du rire aux larmes mais ceci est une autre histoire....
Bernard Diot
Tram et voitures cohabitent sans problèmes (photo R. Peuron)