De Brive à Istanbul
Sainte-Sophie, joyau de l'architecture bysantine, transformée en mosquée en 1453, musée sacré depuis 1936. ( photo R. Peuron)
Un défi pour organiser une rencontre problématique avec Jacques Chirac aboutit à une mission improbable en Turquie.
Des événements successifs, résultant d’une proposition risquée au départ, conduisent un jeune ingénieur à réussir malgré les embûches.
Profession à défendre
Dominique, 31 ans, assure depuis peu la direction de la station de recherche de Novert près de Brive, consacrée à la noix, la noisette, la truffe et la châtaigne. « Je participe pour la première fois à Nîmes, en septembre 1972, à une réunion du Comité national de la châtaigne. Rencontrer le nouveau Ministre de l’agriculture Jacques Chirac est la préoccupation du jour. Après un long tour de table, les participants échouent à dégager une solution rapide pour concrétiser cet objectif vital pour la castanéaculture française. Je suis mis au défi d’organiser ce rendez-vous au titre de ma présence en Corrèze. Avec une part d’inconscience, je réponds instantanément à cette provocation en me chargeant de cette entrevue !
Très vite, les contacts à prendre ne me paraissent pas évidents. Tenant à ma réputation, je ne peux plus reculer ! Que vais-je faire pour sortir de cette situation ? Je fais un tour rapide de mes rares relations sans grand succès. Heureusement, quelques jours plus tard, le producteur approché me rappelle « Je connais un élu qui se dit à même d’établir un lien avec un proche corrézien du Ministre de l’agriculture. » À mon grand soulagement, l’entrevue est programmée. Une réunion a lieu avec Jacques Chirac fin octobre à la préfecture de Tulle. L’échange direct et rapide auquel je participe, débouche sur des perspectives financières en faveur de ce secteur. Le président du Comité national, M. Dumas n’en revient pas d’un tel résultat. Il me prête une influence que je ne dois qu’à mon audace et un peu de chance. Pour me montrer sa satisfaction, il me charge début décembre d’une mission en Turquie. »
Marrons grillés sur un marché d'Istanbul provenant de la région visitée de Bursa. (photo de gauche de F. Bergougnoux et photo de droite de R. Hevin)
Voyage mal engagé
Il est impératif de boucler ce projet avant la fin de l’année, faute de quoi les crédits alloués sont perdus. Par manque de temps et d’expérience, seuls deux rendez-vous ont pu être pris. « L’annulation est envisagée mais je suis déterminé à partir ! Avec le collègue qui m’accompagne nous prenons le vol Paris/Istanbul le 15 décembre. Une tempête de neige nous attend à l’arrivée. L’avion tangue violemment mais le pilote réussit à nous poser. Dès le lendemain, nous allons voir le responsable de l’administration de cette filière. Inopportunément, il est absent et ses collaborateurs ne se sentent pas autorisés à donner suite, ce qui nous met dans l’embarras. Heureusement, nous réussissons à visiter un marché de châtaignes ! Pour se consoler de nos maigres résultats, nous visitons la Mosquée bleu et l’église Sainte-Sophie au bord du Bosphore.
Le lendemain, nous avons rendez-vous avec M. Aydin qui fait de l’import/export avec la France. Sera-t-il vraiment présent et répondra-t-il à notre attente d’informations ? Heureusement, nous sommes reçus chaleureusement. Nous échangeons en français sur la situation de la châtaigne en Turquie. Même si ces données sont précieuses, cela ne me parait pas suffisant. Avec aplomb, je lui demande alors s’il ne pourrait pas nous accompagner pour découvrir la région de production. Pour l’encourager, je laisse entendre qu’en retour nous lui permettrons d’établir des contacts profitables avec des acheteurs français. Après un temps de réflexion où il teste manifestement la crédibilité de ma proposition, il y répond favorablement.
Dès le lendemain nous partons ensemble, après avoir loué un taxi pour 3 jours de visite. Nous voilà embarqués pour une demi-journée sur un bateau qui vogue sur la mer de Marmara sous un soleil magnifique. Nous poursuivons le voyage dans la région réputée de Bursa en visitant des vergers et rencontrant des producteurs et des négociants. Les personnes rencontrées nous apportent toutes les précisions attendues. Notre mission est finalement un succès !
Pendant les nombreuses heures passées ensemble, notre hôte, d’une grande culture, nous conte l’histoire séduisante de la Turquie moderne marquée par la politique d’Atatürk, président de 1923 à 1938. Cette période qui imprègne le pays de la civilisation occidentale est très éloignée de la politique appliquée aujourd’hui par Erdogan.
Ce voyage professionnel réussi malgré ses péripéties, laisse en moi un souvenir particulier. Il m’a conforté dans l’idée qu’il faut toujours croire en sa bonne étoile. »
François Bergougnoux