Nathalie, skipper de sa vie
Dans la vie et sur la mer, la ténacité contre l’adversité
Le 21 juin 2017, se terminait à Dieppe une course du Figaro en solitaire hors norme. Partis de Pauillac le 4 juin, les 43 skippers se sont affrontés dans une course particulièrement difficile où la dernière de l’étape, Nathalie Criou est attendue et ovationnée au moins autant que le vainqueur avec 24 heures de retard sur celui-ci. Il faut dire que c’est la célébration des 10 ans de rémission de son cancer !
L’aventurière
Nathalie est née au Havre en 1974, elle fait ses premiers pas sur un voiler à 15 mois. Son parcours de vie professionnelle lui fait parcourir les mers du monde entier : du nord de l’Angleterre (après de brillantes études, elle passe par l’Université de Leeds) au Pacifique quand elle intègre Stanford : elle navigue de « plus en plus loin et avec de moins en moins de membres d’équipage ». Un passage de 2 ans à Singapour lui fait découvrir l’Océan Indien. En guise d’entraînement, vélo, alpinisme et toujours le sac à dos prêt pour parcourir le monde. Elle aime le contact avec la nature brute et les relations les plus directes avec un environnement inhospitalier, elle qui passe sa vie dans le virtuel !
La battante
Elle vit à San Francisco l’existence heureuse d’un cadre supérieur sans contrainte, chef de projet d’abord chez Philips puis Google. En 2006, sa vie bascule une première fois, elle croise un cachalot sur la course Hawaï-San Francisco : juste le temps de sauter dans le canot de sauvetage où elle attend 24 heures les secours dans une eau infestée de requins. « Ce naufrage m’a préparée mentalement et émotionnellement à mon prochain combat contre le cancer car on m’a diagnostiqué une forme toujours unique à ce jour de sarcome, en janvier 2007. Pas de protocole, pas de visibilité, je l’ai appelé « Alien ». La seule chose indubitable à ce jour : après l’intervention, je n’ai plus d’organes de reproduction mais une cicatrice en forme de grand sourire qui court d’un bout à l’autre de mon abdomen ». Elle a alors créé Beat Sarcoma pour aider les malades de ce cancer si rare et lève des fonds en organisant la Sarcoma Cup.
Son goût du risque la pousse à quitter Google pour fonder, en 2011, une entreprise interne à la Silicone Valley. Elle en quitte la présidence en novembre 2015 pour intégrer une autre structure qui s’intéresse aux applications mobiles. On comprend aisément son appétit pour « la course en voile longue distance où la notion de fini existe et où l’on revient à l’essentiel : manger, dormir, prendre soin de soi et du bateau. On a chaud puis froid, on est mouillé mais c’est beau et magique. Je ne me sens jamais aussi entière et vivante qu’en mer, jamais aussi humaine. La vie n’est jamais aussi intense. »
La Solitaire du Figaro
L’idée lui en est venue après sa 2e place à la Transpac en solitaire en 2014 : elle est décorée Yachtwoman de l’année. « La Solitaire du Figaro étant ouverte aux amateurs, il fallait juste acheter le bateau, l’équiper, faire une première qualification en Californie (grand-voile déchirée à 10 miles de la fin) et une 2e en solo à Concarneau sur le bateau que j’avais loué pour mener à bien mon challenge. J’ai obtenu des fonds de la Richmond Yacht Club Fondation et surtout 1 mois de vacances de mon employeur alors qu’aux USA, la norme est de 10 jours par an. »
D’abord, c’est la première étape avec des vents dantesques qui l’ont contrainte à utiliser son moteur, puis le retard et la fatigue accumulés, le parcours ardu mais, épaulée par le directeur de la course, elle ira son bonhomme de chemin. « J’ai ramassé les bouées, dit-elle en riant, du fait de ma méconnaissance de l’Atlantique. »
Cette arrivée triomphale au champagne à Dieppe avec 24 h de retard, en pleine nuit, avec tous ses compagnons de mer qui l’attendaient sur le ponton, n’est pas prête de s’effacer de sa mémoire. Elle sera d’ailleurs gratifiée du prix Suzuki de la combativité !
Au retour à la maison, « tout m’a paru artificiel et un peu dénué de sens mais on a l’électricité, l’eau chaude, un toit quand il pleut et on retrouve les gens auxquels on tient qui remplacent les médias et c’est génial ! La vie n’est pas une répétition générale, c’est maintenant ou jamais ».
Édith Lavault