Face à l'écran
Il existe une multitude de supports utilisés en thérapie avec des enfants et des adolescents, les jeux vidéo peuvent y participer.
À Talence, dans la banlieue bordelaise, depuis plus d’une dizaine d'années, Yann Leroux, psychologue et psychanalyste, propose à des jeunes patients, des jeux vidéo comme support. Il nous accueille dans son cabinet, ambiance sobre et chaleureuse, fauteuils profonds et nous explique sa démarche.
— L'Observatoire : Avec votre formation de psychologue, comment êtes-vous arrivé à proposer à vos patients des jeux vidéo ?
— Yann Leroux : mes patients sont plus généralement des pré-ados et des adolescents. Les pré-ados, ce sont des enfants qui commencent à tourner le dos à l'enfance, qui laissent tomber les médias traditionnels (ça fait trop bébé). Ils sont dans une période de transition mais ils n'ont pas encore les compétences langagières, cognitives, d'abstraction des adolescents. Les jeux vidéo, c'est quelque chose de formidable pour cette tranche d'âge.
— S'agit-il de rupture générationnelle ?
— Oui et non. En 2020, on trouve dans une chambre d'enfant les mêmes jouets qu'en 1950 avec, en plus, une playstation ou une console. Les psychothérapeutes ont utilisé les objets directement disponibles. Les jeux vidéo font partie des jeux usuels de l'enfant.
— Comment convaincre des parents de la pertinence des jeux vidéo, quand ils sont souvent sujets de discorde ?
— Personnellement, je n'ai jamais éprouvé de difficultés. Cela leur semble intéressant car, disent-ils, "vous êtes sûrs que notre enfant va venir". Dans l'idée des parents, ils pensent que le travail thérapeutique est peu attractif et qu'il faut appâter les enfants.
— Que dire du passage de la réalité au virtuel ?
— Toute la société est en train de se numériser. On propose des supports traditionnels, le jeu vidéo peut être présenté en plus. Ce que l'on faisait avec les supports traditionnels, on peut le faire dans le monde numérique. On peut créer une page word, ajouter du texte, coller des images, mettre du son, ce que l'on ne peut pas faire avec une feuille de papier. Mais surtout on peut effacer de façon parfaite la page. On peut penser à toutes celles qu'on aimerait effacer et qu'on n'arrive pas à effacer, car il reste des traces. Le plus important c'est de cheminer avec le patient, dispositif numérique ou pas.
— Est-ce que vous travaillez en face à face ?
— Il est exact que, par rapport au dispositif classique psychothérapique, il y a un changement de place, ça change les choses. Le face à face est souvent vécu comme une confrontation. Ici, on regarde dans la même direction, on est l'un avec l'autre.
— Jouez-vous avec les patients ?
— Je préfère être à côté et ne pas jouer mais quand un enfant est très inhibé ou qu'il a besoin de jouer contre quelqu'un, alors je joue.
Quand on joue, on rencontre l'autre comme personne, comment il est quand il perd, quand il gagne, etc. Le psy joue et observe ce que le jeu fait éprouver à l'enfant, joie, colère, dépit, satisfaction, s’il est capable de raisonnements complexes, de planifier, de résoudre l'inattendu. Le psychothérapeute peut accéder à la réalité interne du patient. Il peut construire un modèle de fonctionnement de l'enfant. Cela ouvre une porte en fait. L'objectif est de changer ce qu'il y a à changer.
Le thérapeute fait entrer dans le cabinet un objet qui va modifier la relation. Mais j'ai remarqué que les enfants (même ceux pleins de destructivité) prennent soin des consoles. Une console cassée, le jeu s'arrête et ça coûte cher...
— Connaissez-vous les jeux que vous utilisez ?
— Je ne connais pas forcément les jeux. Mais en France, on reste dans une tradition psychanalytique de la primauté de la parole. On utilise des jeux qui racontent des histoires, des parcours initiatiques, des épreuves à surmonter. C'est la tradition du conte, corrélée à une offre esthétique : les jeux sont beaux et riches, comme Flowers ou Ico.
Les enfants apprennent par et avec les jeux. Les familles qui jouent sont des familles heureuses. C'est le travail des parents de présenter les objets à investir au bon moment. Quant à la nocivité des jeux, c'est un conte de fée scientifique ! Jouez ! Jouez ! La vie est courte.
Jean-Louis Deysson