L'étoile jaune
L’étoile jaune, symbole de souffrance pour tout un peuple, est-elle synonyme de honte pour une partie de l’humanité ?
Les témoignages, récits, archives permettent de reconstituer les moments les plus sombres de la Shoah. En France, l’ordonnance du 29 mars 1942 rend obligatoire pour les juifs le port de l’étoile jaune. L’occupant allemand mais aussi les policiers français engagent une vraie chasse aux juifs.
Héros et anonymes
Maurice Joffo regarde sa mère qui « du plat de la paume, lisse sur son revers gauche l’étoile jaune cousue à gros points » et répond à Joseph son frère : « pleure pas, tu vas l’avoir toi aussi ta médaille. » celui-ci pense « quand on a ça il n’y a plus grand chose que l’on peut faire : on n’entre plus dans les cinémas ni dans les trains, peut-être qu’on n’aura plus le droit de jouer aux billes non plus, peut-être qu’on n’aura plus le droit d’aller à l’école, ça serait pas mal comme loi raciale, ça. » Son ami Zérati ajoute : « Bon Dieu, c’est comme une décoration, vous avez vraiment du pot » il échange son sac de billes contre l’étoile maudite dont Serge Gainsbourg dit avec ironie et ressentiment pour l’avoir portée que c’est une « étoile de sheriff » dans sa chanson Yellow Star.
Annette Muller dans son autobiographie La petite fille du Vel’d’Hiv’ raconte comment elle échappe à la rafle. Elle se souvient de la fierté de sa mère gazée à Auschwitz qui « sur les vestes de tweed de mes frères, sur la vareuse de mon costume marin ainsi que sur sa robe à fleurs avait cousu solidement les étoiles juives qui avaient été distribuées en échange de tickets textile. Des étoiles d’un jaune cru, avec le mot juif écrit en lettres noires et tordues comme des flammes. » Dans la rue, elle leur murmurait : « tenez-vous droits, redressez-vous. »
Jérôme Clément relate dans le film Plus tard tu comprendras, l’histoire de ses grands-parents maternels juifs exterminés, la force de cette étoile oubliée, négation d’une identité. En effet sa mère a « décidé d’enfouir son passé dans les placards, d’effacer ses particularités à elle, cette étoile jaune et cette langue russe pour se fondre dans l’identité française. »
Cette quête d’identité mènerait-elle à la mort ? Sans doute pour Thomas Muritz, héros dans La marche à l’étoile de Vercors, grand résistant. En 1943, il rend hommage à son père, admirateur de la France, son « étoile radieuse, intelligente et juste ». Son père et Thomas se confondent, celui-ci mourra, l’étoile jaune sur la poitrine fusillé parmi les 50 otages pris en répression contre un attentat.
La rouelle
Depuis quand les juifs portent-ils l’étoile ?
Sous les derniers musulmans omeyyades en 717 apparaît le port de la rouelle ; l’islam leur interdit de monter les chevaux, de construire des maisons plus hautes que les leurs jusqu’en 1075.
Disque jaune en étoffe, évoquant les 30 deniers de Judas, la rouelle est imposée aux juifs d’Europe lors du concile de Latran en 1215. L’interdiction de sortir pendant la semaine sainte s’y ajoute en 1227 puis, en 1269, saint Louis prescrit le port de deux signes en forme de roue jaune, large de quatre doigts dans le dos et sur la poitrine, aux garçons à partir de 14 ans, aux filles à partir de 12 ans, les femmes coiffent un bonnet spécial. Pourquoi ? Il veut empêcher les mariages mixtes et la cohabitation avec les chrétiens. À la fin du Moyen Âge par étapes successives les juifs sont expulsés de France, Angleterre, Allemagne. Partout le marquage disparaît lentement, toutefois en 1516 à Venise subsiste un ghetto où des signes vestimentaires complètent la rouelle : chapeau rouge pointu ou bonnet jaune, ceinture à frange, femmes voilées avec de larges manteaux, carré de drap jaune sur la tête.
Pourquoi le jaune ?
Chez les chrétiens il signifie trahison : Judas est représenté avec une robe jaune. Au Moyen Âge le jaune est lié au désordre, à la folie : bouffons et fous s’habillent de cette couleur associée aussi à Lucifer, aux traîtres. Le jaune correspond donc vraiment à l’ignominie que représente l’existence même des juifs au sein des autres religions. L'étoile jaune va atteindre le but de son ancêtre la rouelle, écarter les juifs de la vie sociale, politique, économique, religieuse. Ce signe en forme d’étoile de David, remontant au VIIe siècle avant l’ère chrétienne, propre au judaïsme, représentation de la plénitude du chiffre sacré sept, sera adopté par le nazisme comme synonyme de la race à détruire et infligé aux juifs allemands puis à ceux des zones conquises. 1942, la fabrication industrielle de 400 000 étoiles a exigé 5 000 mètres de tissu couleur « vieil or » distribuées par les commissariats de police français.
Mesures discriminatoires
Le 27 septembre 1791 un décret de l’Assemblée Constituante confère aux juifs français les droits civiques mais en 1890 éclate une campagne xénophobe contre les étudiants juifs étrangers. L’affaire Dreyfus (1896-1899) attise ce sentiment antisémite, cependant la première guerre mondiale voit nombre d’entre eux s’enrôler, l’oubli s’installe. En 1933, Hitler affirme sa théorie sur la survie du peuple allemand par la destruction du peuple juif « assoiffé de pouvoir et d’argent » le conduisant aux premières mesures anti-juives : recensement, exclusion de toutes fonctions publiques, exigence de la pureté aryenne (avec quatre grands-parents juifs on ne peut y prétendre).
Ces discriminations s’étendent aux pays occupés et débutent en France dès 1939 : retrait de naturalisation, du droit de vote, restriction dans les professions libérales et les facultés. Le 27 septembre 1940, la chasse au recensement commence et Bergson, le grand philosophe, vieux et malade se présente afin de montrer son soutien aux persécutés, les journaux évoquent la « purification de la nation en marche ». L’année 1941 voit la spoliation des entreprises, des biens juifs s’effectuer, la première rafle toucher les ressortissants polonais, tchèques, apatrides, enfin la seconde les notables de toutes catégories. Les services d’Eichmann reçoivent l’ordre de ratisser l’Europe à la recherche de juifs : 1942 la répression s’intensifie.
L’étoile de l’infamie
7 juin 1942 l’ignominie : port implacable de l’étoile jaune à partir de six ans pour tous les juifs.
Comment réagit la population ? Les hebdomadaires antisémites (Gringoire, le Franciste, Au Pilori, la Gerbe) excitent la haine, jugent la mesure nécessaire contre la « race maudite » et applaudissent ce « beau macaron doré. » Incompréhension ou indifférence des Français au début , mais en juin 1942 l’étoile considérée comme un vil stigmate génère de la pitié, on évite de regarder les juifs ainsi marqués. Les délateurs, maîtres-chanteurs de toute classe sociale ou professionnelle pullulent, les petits commerçants, artisans lésés par l’influence économique des juifs expriment leur satisfaction.
Gaullistes et communistes fomentent des troubles afin d’éveiller les consciences et susciter l’indignation : au quartier latin, les étudiants accrochent à leur veste des étoiles de David, juif est remplacé par des mots : « swing, Normandie, bouddhiste, zazou, victoire, catholique », certains arborent des fleurs jaunes, une pochette jaune dans la poche du veston, des étoiles juives en papier… Les « zazous » portent les vêtements, les cheveux très longs alors que le tissu est rationné et que l’on réalise des pantoufles avec les cheveux, certains seront déportés. Les lois anti-juives se durcissent : interdiction de fréquenter les lieux publics, utiliser le téléphone, monter à vélo. Des « justes » aideront des juifs au péril de leur vie.
Que ressentent les juifs ? Honte face aux regards fuyants, humiliation car ils doivent se soumettre ou se cacher en vivant dans la peur, fuir à l’étranger. Léon Poliakof rapporte : « nous étions atterrés, ne pouvions admettre cette réalité, l’étoile me collait à la peau, la nuit dans mes cauchemars elle devenait énorme et brillait comme la pleine lune, on la fixait avec des boutons pressions afin de pouvoir la détacher instantanément. » La rafle du Vél d’Hiv’, jeudi noir du 16 juillet 1942 avec 13 152 juifs arrêtés, nombreux déportés vers les camps d’extermination sera un des plus grands drames de l’Occupation.
Face aux ténèbres qui ont obscurci cette période réfléchissons sur les notions comme droits de l’homme, dignité, respect de la personne afin de dire : « plus jamais ça. »
Pierrette Fulcrand