Du Moyen-Âge au XXI^e siècle, les habitats bordelais livrent un peu de l’histoire de la ville : Julie Guiroy, conférencière du CIAP*, propose une balade à travers le centre historique de Bordeaux. Laissez-vous guider !

Nous avions rendez-vous place de la Bourse pour déambuler le nez en l’air, les oreilles en éveil et découvrir la manière dont les bordelais ont modelé leur ville à travers le temps. Tout le monde a en tête la carte postale du front de Garonne, alignement harmonieux dessiné par les urbanistes du 18^e siècle. Explorons derrière le décor !

Le règne du négoce

Rue du Chai-des-Farines, au n^o 27, l’hôtel du 18^e siècle appartenait à l’armateur François Bonnafé. Il y entreposait sucre, café, cacao de Saint-Domingue et logeait sa famille à l’étage noble avec son balcon en trompe. L’immeuble est assez haut pour surveiller les arrivées de bateaux sur le fleuve. Au n° 7, c’est la maison de Jean jacques Bosc, célèbre négociant bordelais et député de la Gironde au 19^e siècle. Son hôtel est plus large avec 5 travées, un entresol pour les bureaux, une porte d’entrée pour accéder directement aux étages habités. Les consoles et corniches reflètent le goût du siècle. On aperçoit, dans la librairie actuelle de livres anciens, les robustes piliers de pierre de l’entrepôt. Comment les marchandises circulaient-elles du port à l’hôtel ? Julie explique qu’en fait, des passages existaient sous les immeubles de la première ligne pour faire rouler les tonneaux jusqu’à la rive. En passant dans le quartier populaire de la rue de la Rousselle, elle évoque Montaigne et la maison simple où il fut éduqué. Son père souhaitait qu’il soit élevé proche du peuple, des vendeurs de poissons salés et artisans.

Détruire pour moderniser

C’est le credo haussmannien. Et Bordeaux n’a pas échappé à la mode parisienne, voyez le cours Alsace-Lorraine ! La percée exige d’éventrer tout un quartier médiéval, très vivant mais insalubre. Le cloître de la cathédrale Saint-André est englouti. Et pour la première fois, 22 architectes conçoivent 132 immeubles de rapport, chacun avec ses particularités contrairement à ceux des quais : des boutiques au rez-de-chaussée, c’est le début du prêt à porter, des appartements dans les étages. Les hôtels appartiennent désormais à plusieurs propriétaires et reflètent les nouveaux goûts de la bourgeoisie, voyez les bow-windows. Les ouvriers sont interdits de premier étage et les cuisines cantonnées à l’arrière des immeubles. Que reste-t-il alors du Bordeaux du Moyen-Âge ? Quelques vestiges, ces maisons de marchand rue des Bahutiers que l’on aperçoit du cours Alsace-Lorraine : modèle typique avec son atelier, ses fenêtres à meneaux et son pignon pointu.

Réhabiliter le passé.

Le groupe se dirige vers la place du Palais où il faut imaginer le palais de l’Ombrière, celui d’Aliénor d’Aquitaine. Au XX^e siècle, la voiture règne, la place n’est qu’une grande voie de circulation et il faut combler quelques dents creuses comme disent les urbanistes. Un immeuble, conçu par l’architecte Claude Henri Aubert, reprend le vocabulaire architectural du passé : grande hauteur du rez-de-chaussée comme autrefois les entrepôts de négociants, pour garer les voitures ; un premier étage surélevé et des balcons en béton d’une lourdeur affligeante, évoquant les élégants balcons en trompe du 18^e.

Comment vivre aujourd’hui dans le Bordeaux ancien sans le détruire ni le défigurer ? La ville doit résoudre ce défi tout en répondant aux nouveaux usages. Julie nous présente InCité** qui a entrepris, depuis 2002, la reconquête du cœur historique : la société repère des immeubles à acquérir et à réhabiliter, des îlots trop denses à aérer en procédant à des démolitions pour créer des espaces à vivre, jardins partagés, cour, garage à vélos, des passages plus lumineux, des commerces de proximité.

L’enthousiasme de Julie nous gagne. Bordeaux, ville musée ? Non, les bordelais et néo bordelais se l’approprient pour la faire vivre et créer cette atmosphère singulière qui semble tant séduire aujourd’hui.

Texte et photos de Marie Depecker

*CIAP : Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine 2/8 place de la Bourse Bordeaux.

**InCité, société d’économie mixte chargée de revitaliser le centre historique de Bordeaux.