Le bronze au service de l'art
À Mérignac, près de Bordeaux, des fondeurs reproduisent les créations confiées par des artistes.
La visite des ateliers de la Fonderie des cyclopes, labellisée Entreprise du Patrimoine vivant, permet de connaître le travail minutieux de moulage, fonte et polissage des œuvres imaginées par les artistes et réalisées en bronze.
La fonderie est proche du centre de Mérignac, près de la station du tram A, arrêt Pierre Mendès-France. L’aspect extérieur est celui d’une maison. Les ateliers se trouvent à l’arrière, sur une grande profondeur, éclairés par le toit. Pas de grande cheminée mais un four électrique. Un artiste, arrivé spécialement de la Côte d’Azur, examine l’avancement de sa commande.
— L’Observatoire : Pourquoi avoir choisi ce nom, Fonderie des cyclopes ?
— Le directeur de l’entreprise : Dans la mythologie, les cyclopes forgerons sont d’habiles techniciens au service du Dieu. Ici, nous sommes au service des artistes qui nous confient leurs œuvres. Le but de cette entreprise est de reproduire l’objet en terre cuite, modelé par un artiste. La terre peut casser, donc il faut réaliser cette œuvre à l’identique, en bronze, ce qui lui donnera de la solidité et de la valeur. La première étape est le moulage.
— Comment faites-vous les moulages ?
— Il ne faut pas détériorer l’objet du créateur. Lorsqu’on pose sa main bien à plat, sur du sable mouillé, on obtient l’empreinte en creux, dans le sable. On fait de même pour un objet. C’est le moulage au sable, un sable de fonderie, réfractaire, qui garde la forme, en creux, après qu’il ait subi l’empreinte. Il suffit alors de couler du bronze dans la cavité. Cette technique peut être utilisée pour reproduire des grilles ouvragées qui nécessitent beaucoup de travail de ferronnerie. On prend un seul élément, on le reproduit par moulage en de nombreux exemplaires. Puis on soude les éléments les uns aux autres.
Une autre technique est nécessaire pour les objets en volume, c’est le moulage dit à la cire perdue. Ces deux moulages existent depuis très longtemps.
— Pourquoi la technique à la cire perdue est-elle la plus utilisée ?
— Les œuvres sont presque toujours en volume, avec des surfaces ouvragées, comme la crinière d’un lion. Nous avons plusieurs commandes des municipalités en cette période électorale. En particulier les plans en relief des quartiers historiques. Bordeaux a fait réaliser celui de la place Pey-Berland, celui à l’entrée de la Cité du vin vient d’être inauguré. Les villes de Pau et Bayonne en ont aussi commandé.
Le moulage doit être très précis. Pour exemple prenons ce petit cheval en terre cuite. On le recouvre de résine qui a des propriétés élastiques. Un fois séchée, on pourra retirer le cheval sans l’endommager. Si l’objet est grand ou avec des bras tendus, on fera des moules pour chaque bras, les mains, le torse. Nous avons réalisé le moule du bras et de la main du fils de notre client, en utilisant un élastomère spécial pour la peau. Quand c’est sec, on l’enlève comme un gant. Les moules sont parfois faits par l’artiste. Celui du petit cheval en résine, un peu souple, doit être entouré d’une sorte de carcan rigide et d’une armature en fer. On renverse l’objet, on coule de la cire sur une épaisseur déterminée. Une fois refroidi, on obtient le petit cheval en cire. C’est sur le moulage en cire que l’artiste signe. On doit alors couler du plâtre tout autour de l’objet en cire et chauffer doucement et longtemps. La cire fond et coule, on peut alors verser le bronze en fusion dans la cavité. Après refroidissement, on obtient le petit cheval en bronze.
— Combien de temps durent ces différentes étapes ?
— Le temps de fabrication dépend de l’objet. Il peut durer de deux mois à deux ans. Pour les objets d’art, il ne faut pas réaliser plus de 12 copies numérotées, quatre réservées à l’artiste et les autres pour la vente. Mais le travail ne s’arrête pas au moulage en bronze.
Il y a des postes de soudure, le four amène le métal à une température de 1 200 degrés. Par mesure de sécurité, il faut pantalons et chaussures fermées. Les artisans ont des vêtements en coton. Chaque employé a choisi sa spécialité. Celui qui doit souder toutes les pièces de l’objet initial doit faire aussi disparaitre à la vue, les points de soudure. C’est un travail minutieux et long. Il faut aussi qu’il supprime les évents, ces traces d’ouverture dans un moule qui permettent l’évacuation de l’air et des gaz chauds chassés par la matière en fusion. On décide parfois de les laisser, comme sur la statue qui fait face à la Méca : un petit garçon assis sur le bord d’une pierre de lave de Volvic. C’est pour tous ces travaux de finition que les artistes viennent dans les ateliers, superviser et même modifier quelques détails.
— Quels sont les autres travaux de finition ?
— Le polissage qui s’effectue avec des outils abrasifs de plus en plus fins, de plus en plus petits (pour les détails en creux). Je vais vous montrer comment on peut modifier la couleur du bronze, en appliquant au pinceau des solutions de sulfate, nitrate ou oxyde de fer, suivant les couleurs désirées, tout en chauffant au chalumeau. Puisqu’il peut y avoir quelques vapeurs toxiques, on doit actionner le ventilateur.
— Quelle formation est nécessaire pour travailler dans cette fonderie ?
— Il n’y a pas d’école de formation, il faut être habile de ses mains et aussi artiste. Un des employés a une licence de lettres puis a réparé des planches de surf, une jeune fille a fait les Beaux-Arts. Ils sont en contact permanent avec les clients, ils suivent leurs directives, ils essaient de les contenter dans la mesure du possible. Ils établissent une relation de confiance. Chacun a ses exigences. Parfois certains sont mécontents, mais généralement ils reviennent pour de nouvelles réalisations. Les artisans ont la possibilité de travailler le soir pour réaliser en bronze les œuvres qu’ils ont créées. Ici, il y a autant de femmes que d’hommes et une bonne ambiance conviviale, comme vous avez pu le constater en parcourant les divers ateliers.
— Comment réalise-t-on l’effet miroir?
— Il faut faire un polissage très fin et surtout déposer un vernis pour éviter l’oxydation.
Quelques unes des réalisations
Buste de Linne au jardin botanique de Bordeaux
Sculpture de Jacques de Romas à Nérac
Buste de Léon Valade aux Beaux-Arts de Bordeaux
Statue La landaise au musée de Mont-de-Marsan
Poignées de portes à la gare de Bordeaux, à l’identique de l’original de 1850
Buste de Ribereau-Gayon au château Margaux
Sculpture La Marseillaise pour la mairie d’Agen
Drapés du Grand Hôtel de Bordeaux, architecte Petuaud- Letang.
Les tables d’orientation commandées par la ville de Bordeaux.
Fonderie des cyclopes, 13 route de Pessac,33700 Mérignac 05 56 99 08 94
www.fonderiedescyclopes.com
Pierrette Guillot
Exemples de leurs réalisations