Amoureux de la mer
Homme libre toujours tu chériras la Mer.*
De tout temps, la Mer grande séductrice par son mouvement incessant de flux et de reflux qui n’est autre que la vie, attire à elle des amoureux épris de liberté. Le plaisir des sens y a sa large place. La vue. Quels plus beaux paysages aux reflets changeants : des gris, des verts, bleus, noirs. Ses vagues ourlées d’écume blanche. L’odorat. L’air du large, le goût de la mer et du sel sur les lèvres. L’ouïe. Le bruit des vagues venant s’échouer sur la grève les unes après les autres, celui du vent dans les voiles.
La soixantaine épanouie, grand, le cheveu dru, blond avec quelques cheveux blancs, le regard bleu rieur, Laurent, enseignant chercheur passionné en optique et laser, n’a pourtant cessé depuis l’enfance d’être attiré par la mer. L’Observatoire l’a rencontré.
L’Observatoire : –— Quelles émotions, sensations procurent le fait d’être sur la mer ?
Laurent : – Une sensation de glisse, on se laisse guider, entouré d’un système de force. On est appuyé sur l’eau, un peu comme d’avancer dans le ventre de la mère. Il sourit. Avec mon bateau, j’ai voyagé en Corse, en Espagne, en Bretagne mais j’ai surtout aimé suivre le littoral d’où l’on a une perspective sur l’infini. Cela permet d’avoir l’esprit contemplatif, de rêver, de construire un imaginaire d’indépendance où les contraintes sont moins grandes que dans la vie ordinaire. La solitude est mieux acceptée.
–— Qu’est-ce qui attire en elle ?
–— La liberté de pouvoir choisir. C’est un terrain de jeu où face à l’infini, on peut décider d’aller n’importe où dans le monde par ses propres moyens. La relation avec la nature permet de s’évaluer soi-même ; personne ne te juge, les fautes ne dépendent que de toi. Avec la mer dans les différentes situations on peut apprendre, réfléchir, construire, prévoir, élaborer des stratégies, comprendre. On fait avec la mer. C’est plus compliqué dans les relations humaines ! C’est aussi un système plus simple pour se placer au milieu de l’univers. Etre son propre maître. Autonome.
–— En 1979, vous avez participé à la course au large du Fastnet, cette aventure humaine réputée dans le monde entier. Que vous a apporté cette expérience hors norme ?
–— Une expérience personnelle extraordinaire de huit jours de vie en société, extrême. Pour être admis équipier sur un voilier de huit personnes, il faut faire ses preuves. Cette année-là, il y a eu une tempête, un vent de force 10, 11, des morts... Ces conditions difficiles nécessitent des prises de positions rapides et surtout savoir gérer les relations humaines et les avis contraires.
–— Et la peur ?
–— Je n’en ai pas eu le temps. Ce jour-là, j’étais de quart, la nuit était calme. Bien que la tempête n’ait pas été annoncée, j’ai vu le baromètre chuter terriblement, ce qui ne présage rien de bon. J’ai réveillé l’équipage. Certains voulaient continuer malgré le danger, d’autres dont je faisais partie estimaient plus raisonnable de rebrousser chemin, ce qui excluait toute chance de gagner. Nous avons décidé de faire demi-tour et n’avons eu que la queue de la tempête. Si nous avions poursuivi, peut-être serions nous morts…
Laurent, homme heureux de science, cherche-t-il à retrouver par delà son amour de la mer, l’enfance inviolée ? Telle que le poète Arthur Rimbaud l’a dépeinte :
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
Arlette Sarger
*Charles Baudelaire
Le Fastnet race est une course de navigation à la voile qui a lieu tous les deux ans. Créée en 1925, organisée au Royaume-Uni par le Royal Ocean
Racing Club, elle est aujourd’hui devenue mythique. Elle se dispute entre Cowes et Plymouth, en passant par le phare de Fastnet Rock en mer d’Irlande, au large des pointes de la
côte sud-ouest de l’Angleterre. Il s’agit probablement d’une des courses les plus difficiles que compte le monde de la voile. En 1979, les concurrents eurent à affronter une
tempête extrêmement violente : 15 marins périrent ; seuls 86 voiliers sur 306 au départ furent classés à Plymouth.
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