Partager, pas si facile
« Le contenu d'une cacahouète est suffisant pour que deux amis puissent le partager. »*
Vous allez avoir du temps de libre à la retraite, qu'allez-vous faire? Des voyages, du sport, des loisirs, les petits-enfants, un engagement associatif, du bénévolat ? C'est décidé, ce sera donner du temps pour partager des choses avec les autres. Partager quoi, avec qui, comment ? Ouvrez la porte des possibles : solidarité, don, échange, service.
Solidarité
Aujourd'hui, dans un environnement socioéconomique particulièrement inégalitaire, les hommes ont encore cette ressource de prêter attention à l'autre et de se mobiliser pour partager des actions, des biens, des savoirs. Mais de tout temps cette préoccupation a existé : le judaïsme a largement développé la pratique du partage avec les frères démunis comme en témoigne la coutume de préparer pour le sabbat de la nourriture pour les pauvres (le « panier du pauvre »). L’Église a prolongé cette pratique. Chaque premier jour de la semaine, il existe une collecte en faveur des frères de Jérusalem soumis à la famine : ainsi, dès les années 40, le dimanche est déjà régulièrement jour de solidarité et de partage. Cet engagement bénévole se poursuit de nos jours dans les actions de La mie de pain, La goutte d'eau, Les restos du cœur. Les références aux besoins basiques de survie de l'homme sont édifiantes. À Bordeaux, voilà vingt ans que le restaurant Bodega des frères Cuny offre un millier de portions de paëlla aux bordelais démunis et seuls, le jour de Noël. Une forme de démarche collective au profit des personnes pour qu’elles retrouvent leur dignité.
Service rendu
La formulation « rendre service ou échanges de services » semble plus adéquate pour illustrer la notion de partage. La pratique de l'échange supplante celle du partage. Rares restent les actions complétement gratuites : BlaBlaCar, Covoiturage, 123 envoiture » proposent de voyager ensemble. Prends ma place propose aux automobilistes d'occuper une place de parking vide. Rendue célèbre par des émissions télévisées, le couchsurfing consiste à dormir chez l'habitant contre un service rendu. Pour Trocvestiaire.com, il s'agit d'échanger des vêtements, des accessoires, pour Myrecyclestuff il faut donner une seconde vie aux objets dont on veut se séparer. Il y a une plus-value créée par l'acquisition de savoirs faire, d'apprentissages, même s'il n y a pas profit, dans les échanges de services (apprendre une langue, à coudre, dessiner, peindre, bricoler, etc.).
Équitable
Le partage n'est pas l'équivalent d'équité. Le partage des richesses et des profits n'entraîne pas nécessairement la sérénité et la paix dans le monde. Autrefois, les partages réalisés lors d'un héritage étaient fondamentalement inégalitaires (droit d'aînesse). Pour tenter d'atténuer ces différences, on assiste aujourd'hui aux évaluations du montant des dotations, à la valorisation des actes revendiqués par les héritiers auprès des personnes disparues, aux contraintes sociales, familiales, économiques. Une famille heureuse est souvent une famille qui n'a pas connu d'héritage ! Lors des conflits mondiaux, les belligérants s'arrogent le droit de se partager territoires et richesses sans tenir compte des populations et des cultures.
Partage et don
Le partage doit s'accompagner du plaisir de partager : lors des fêtes de Noël, trois jeunes gens qui déambulaient nonchalamment dans la rue Sainte-Catherine à Bordeaux, distribuaient aux SDF des chocolats dans la rue : pour un sourire, un regard. « Ce qui est donné doit être reçu et rendu comme reconnaissance et transformé en valeur sociale. » Marcel Mauss. Le bonheur personnel passe par le bonheur des autres.
Une forme extrême du don est La chaîne du silence, un cercle pour la paix, une heure de son temps, dans le silence, ensemble, la main dans la main : gratuité de l'acte.
À un enfant qui demandait comment sa maman enceinte allait faire pour l’aimer autant que le petit frère qui allait arriver et avec qui il faudrait partager, Françoise Dolto répondait que le cœur d'une maman grandissait d'autant.
Jean-Louis Deysson
* Proverbe Burkinabé