Avoir l'outil en main
Dans un monde où la technologie est omniprésente, comment faire découvrir les métiers manuels aux enfants ?
Photos de Marie Depecker
Théophane, Sarah, Thomas, mais aussi Titouan, Maxence, Amandine, Dweyne, tous s’affairent dans l’atelier de L’outil en main : l’ambiance est joyeuse et les enfants semblent en confiance aux côtés des plus anciens. Ils ont enfilé le tee-shirt de rigueur, c’est leur bleu de travail en quelque sorte
Des artisans en herbe
Pendant leur temps libre, certains enfants font du sport, de la musique ou de la danse, ceux-là viennent à l’atelier tous les mercredis après-midi de 14h à 17h pour s’initier au maniement de vrais outils, des marteaux, ciseaux, pinceaux et autres burins.
Ils sont curieux, vifs mais attentifs et les pauses régulières permettent de maintenir, tout l’après-midi, concentration et patience indispensables pour fabriquer un objet. En effet, ils doivent concevoir et réaliser un petit chef-d’œuvre qu’ils emporteront avec fierté à la maison en fin d’année : une mosaïque, un arrosoir en zinc, un plateau pour jouer aux dames, une petite sculpture de pierre, des émaux… Certains ouvrages comme le damier ou le tableau en céramique nécessitent l’intervention de plusieurs corps de métier. C’est l’esprit de l’atelier : toucher à tout et découvrir la diversité des matériaux, des outils et des gestes, éveiller la créativité des enfants, développer leur dextérité manuelle tout en leur donnant le goût du travail bien fait.
Grands parents d’adoption
Autrefois les métiers se transmettaient de père en fils, l’association L’outil en main souhaite recréer ce lien entre les générations : quand on est retraité, on a du temps libre, on n’a pas toujours ses petits enfants à proximité alors pourquoi pas accompagner de jeunes garçons et filles dans la découverte des métiers manuels et qui sait susciter des vocations. Longtemps dévalorisés, toutes les professions de bouche, du bâtiment et de restauration du patrimoine ont plus que jamais besoin de personnes qualifiées. En réalisant avec les jeunes un projet, les retraités transmettent aussi des valeurs sociales : respect des autres, des outils, le goût du travail, de la discipline collective. En s’inscrivant, parents et enfants signent une charte de comportement et de sécurité. Car l’atelier n’est pas un centre de loisirs, encore moins une garderie.
Passionnées de patrimoine
C’est à Troyes qu’est née l’idée de faire découvrir aux enfants des savoir-faire manuels souvent oubliés dans les cursus scolaires. Marie-Pascale Ragueneau, sensible à la sauvegarde du vieux Troyes et de ses maisons à colombage, souhaitait transmettre sa passion ; elle crée en 1987 les premiers ateliers du mercredi. Et depuis 2005, c’est Yana Boureux qui préside l’Union des associations L’outil en main : près de 120 associations implantées partout en France. Elles initient plus de 1700 enfants de 9 à 14 ans à 150 métiers avec plus de 2000 bénévoles. Celle de Bordeaux existe depuis 2013 et mobilise pour le moment uniquement des artisans ou anciens salariés du bâtiment : peintre, plâtrier, menuisier, ébéniste, tailleur de pierre, électricien, plombier…et un ingénieur des arts et métiers, passionné d’émaux.
Chaque enfant verse une contribution de 80 euros pour l’année scolaire. Il a droit à deux séances pour d’abord se familiariser et choisir de continuer ou d’abandonner. L’association fait appel à des partenaires privés comme AG2R, la SNCF, le Crédit coopératif ou publics, État et collectivités locales, pour financer les outils et les matériaux. Les anciens fournisseurs des artisans sont aussi sollicités et les retraités apportent également leurs propres outils.
Quant aux locaux, la Chambre des métiers et de l’artisanat prête un bureau à Bruges et l’atelier loge dans un ancien CFA, 35 boulevard Albert 1er à Bordeaux.
Cette année, une dizaine d’enfants suit l’activité du mercredi, c’est encore peu. Jusqu’à présent, les établissements scolaires n’ont pas montré beaucoup d’intérêt pour ces initiatives. Dommage ! Car on n’apprend pas tout dans les livres.
Marie Depecker