Entre terre et mer

On me décrit comme un paradis. Hameaux parsemés ça et là au bord du lac de Lacanau, Talaris s’inscrit avec modestie dans une végétation luxuriante.

Marina de Talaris (P. Burlaud)
Marina de Talaris (P. Burlaud)

Qui pouvait croire que quatre cent cinquante familles se partageraient cet espace en copropriété et bonne intelligence ? C’était un pari, un état d’esprit, c’est réussi !

 

Mémoire d’une vieille cabane…  

Modestement posée là, les pieds dans l’eau, la tête à l’ombre des arbustes, dérangée de temps à autre par des oiseaux indélicats, je sommeillais tranquillement. D’un âge certain, faite de bric et de broc, dans un terrain sableux et marécageux partiellement recouvert de pins et de chênes, je regarde couler l’onde de la craste*. Je survis grâce à quelques planches rajoutées sans ménagement à coups de marteau par un pêcheur hurluberlu qui attrape de temps en temps du menu fretin kamikaze. Mes voisines sont assez éloignées. Depuis quelques temps, des intrus bruyants me regardent avec condescendance ; je ressens les prémices d’un bouleversement. Je comprends que rien ne sera plus pareil. Un beau matin, je suis réveillée par le vacarme de mastodontes puants. Ça y est, ma fin approche.

 

Naissance de la Marina

En 1970, les 130 hectares d’eau, d’arbres et de terre qui m’entourent séduisent le promoteur Bomsel qui souhaite les aménager en zone de résidence touristique. Pour ce faire, il s’associe avec un groupe finlandais, habitué de la construction en polders. Le projet consiste à conserver les qualités naturelles du site en installant un « urbanisme éclaté en forêt ». Il fait creuser des fossés de drainage, dessine une voie circulaire sur laquelle se greffent des allées donnant sur des groupes de villas, soit vingt-cinq hameaux, nécessitant des travaux de forestage. Des allées cavalières et des sentiers piétons parcourent le site. En 1980, neuf hameaux, dont un pourvu d’équipements sportifs, l’autre d’un club hippique, sont réalisés sur le principe de réserves biologiques dirigées. Le groupe finlandais développe une architecture contemporaine de villas basses à toit plat en bois. Naîtront plus tard jusqu’en 2003, au gré des constructeurs, des chalets, des maisons basques, un restaurant, un self entre tennis et piscine, des groupes en forme de fleurs, toujours séparés par des coupures végétales importantes.

 

Les villas de chaque hameau se distinguent par leur technique de construction, leur forme, leur couleur, le bois utilisé et leur implantation par raport au lac.

Les pieds dans l’eau

Parallèlement, la grande nouveauté réside dans la proposition d’installer les villas des nouveaux sites lacustres en s’inspirant des cabanes de pêcheur. Pas de doute, c’est dans les vieux pots…

L’unité architecturale de chaque hameau garantit son indépendance et sa personnalité, répond au même objectif : des petites villas simples et conviviales. Le projet est audacieux, il faut remodeler le rivage, creuser des criques et des méandres, détourner la craste, renforcer les berges et replanter des essences locales pour garder les qualités naturelles. L’agence Agora construit six groupes de hameaux en bois de type cabanes et deux paillottes. Ils se distinguent les uns des autres par leur forme, leur couleur, la technique de construction, la provenance des bois utilisés, leur implantation dans le paysage et leur situation par rapport aux rives du lac. Des passerelles, des pontons offrent la possibilité aux occupants d’accéder à leur bateau ancré au pied de leur villa. Un petit port est aménagé auprès duquel le hameau des Pêcheries construit sur pilotis voit le jour. Ces dix dernières années, trois parcelles vendues en terrain à bâtir anarchiquement construites ont un peu dénaturé l’esprit marina.

 

Sagesse de vieilles planches

Sous les branches à moitié enterrées dans le sable, j’ai échappé au tsunami. Sans bruit, je regarde et entends les vociférations récurrentes des humains.

Tant que la priorité des constructeurs fut architecturale, la sérénité régna sur la Marina. L’arrivée de promoteurs, facilitée par le manque de vigilance des propriétaires pour la plupart en résidence secondaire, changea la donne : la rentabilité devint le mot d’ordre et la guerre éclata. Les propositions saugrenues fusèrent ; un hôtel de luxe, un restaurant pour accueillir les 140 maisons de vacances locatives, des villas de grands standing sur la lagune, que sais-je encore ? Aujourd’hui le plan d’occupation des sols est saturé, la construction stoppée. Aux dernières nouvelles, les trois parcelles lagunaires restantes viennent d’être déclarées non constructibles par la protection du littoral, les rapaces ne décolèrent pas d’autant qu’ils ont été obligés d’abandonner le chantier en construction de l’hôtel sur l’emplacement du centre hippique. Tous ces terrains inoccupés seront rétrocédés à la copropriété. Le calme va revenir. De plus en plus de maisons, un quart environ, sont habitées à l’année.

 

Bonne nouvelle pour moi, depuis les dernières vacances, à deux pas de ma cachette, Éliante et Meaulne ont commencé la fabrication d’un abri. Observateurs et fouineurs, ils ne tarderont pas à me découvrir, l’idée de renforcer une humble cabane m’enchante…

J’ai même ouïe dire que bientôt L’Observatoire viendrait y jeter un œil !


Texte et photos de Paule Burlaud

  *nom régional des ruisseaux