Voyage mémoriel, le temps du COVID
Port du masque, gel hydro alcoolique, règles de distanciation : la population n’a pas d’autre choix que de redéfinir ses habitudes depuis la crise sanitaire. Entre souvenir et idéal, les citoyens du monde se remémorent et s’imaginent les évènements culturels qui n’ont pu avoir lieu cette année, comme par exemple la célèbre fête espagnole : Moros y Cristianos.
Chaque année, début juin, des dizaines de villes espagnoles commémorent la reconquête de la Péninsule ibérique. Elles retracent également les affrontements passés entres les troupes musulmanes et chrétiennes créant des guerres sanglantes qui ont animé la région de l'Andalousie. Ces batailles ont marqué l’histoire de l’Espagne et de ses générations, de telle sorte que cette fête est aujourd'hui l'événement de l’année à ne surtout pas manquer.
Une immersion totale
Dès le premier jour, l'atmosphère festive s'installe dans les foyers espagnols. Le centre-ville arbore un décor composé d'ornements médiévaux, ainsi qu'un château éphémère implanté sur la place de la Mairie. Entre reproductions de batailles, marches militaires et parade, le son des pas du paso-doble entraîne la population dans un voyage à travers les siècles. Chacun revêt l’habit de son ancêtre et devient acteur d’une guerre qu’il n’a pas connue, il se transforme alors en comparsa (terme utilisé pour qualifier une personne participant à un carnaval en Espagne).
Souvenirs de juin 2019 : Alicante, comme chaque année dans toutes les villes espagnoles, fêtait la reconquête de la péninsule espagnole (photographycabinet)
Et le temps s’arrête
Les villes espagnoles se parent des souvenirs de l’histoire, mais pas seulement, la vie locale des habitants est, pendant cinq jours, complètement plongée dans le rythme frénétique de la fête espagnole. Pour s’intégrer davantage, chaque comparsa doit rejoindre le groupe avec lequel il souhaite s’allier. Deux camps se dessinent alors : celui des Maures et des Chrétiens. Les costumes des contrebandiers, des pirates, des gitans, des Maures marocains et musulmans se mélangent à la foule cacophonique des deux camps, tous deux représentés par deux ambassadeurs, différents chaque année, que l’on appelle : la abanderada (la porte-drapeau) une femme, puis un homme, el capitan (le capitaine). Tous deux défilent à cheval devant leurs partisans qui dansent et marchent d'un pas guerrier sous les tirs de fusils de types arquebusiers. L'odeur de la poudre se mélange aux parfums des plats typiques, cuisinés par les familles locales, qui seront dégustés par les participants dans un lieu de paradis appelé le quartier. Les couleurs de l’Espagne se dressent dans les assiettes avec la paella, les sardines, la fabada asturiana (cassoulet espagnol), les churros et les tapas. Chaque réunion se termine par des sessions de danses traditionnelles et contemporaines qui durent toute la nuit grâce à l'aide de la sangria et du tinto de verano, cocktails à base de vin rouge et de fruits.
Prêts pour le jour J
Pour que le festival se déroule dans les meilleures conditions possibles, il faut plusieurs mois, voire même une année entière de préparation. Pour une célébration réussie, un planning précis est alors mis en place. Chacun doit réserver son costume : les prix peuvent varier de 800 à 2000 euros en fonction de leur importance dans la parade. Et chaque famille commence à passer ses commandes culinaires dès le début de l’année afin d’être prête pour le jour J. La parade est retransmise à la télévision afin d’apporter une audience nationale.
Gloire à San-Anton !
Telle une mise en abyme, cet événement fait donc office de mémoire de l'histoire. Et les croyances religieuses espagnoles sont également une partie essentielle du festival. Le saint patron de la ville, San-Anton, un moine chrétien, modèle de piété, est au centre de chaque célébration appuyée par des chants religieux qui font écho dans les églises jusque dans les rues de la ville. Le cinquième et dernier jour, à la fin de la parade, une statue à son effigie accompagne la foule. Cette vague spirituelle est donc une façon poétique de clôturer les festivités dans le cœur de la population locale qui donne à la religion une place importante dans sa vie ainsi que dans le patrimoine culturel. Ce voyage dans le temps n’est pas seulement historique et divertissant mais a bel et bien une profondeur humaine. Les participants déconnectent de leur quotidien afin de renouer avec les valeurs simples de la vie. Partage, rencontre, échange, joie de vivre sont les bases qui caractérisent l’ensemble du festival Moros y Cristianos qui nous fait voyager d’une époque à une autre, le temps de quelques jours et surtout, le temps de cette crise sanitaire !
Megan Boutboul