De la vigne en adoption
Un couple de viticulteurs de Rions propose à des amateurs de vin de parrainer un rang de vigne de leur propriété, sur les coteaux de l’Entre-Deux-Mers.
Les temps sont durs pour les petits propriétaires terriens. Afin de valoriser leur bien, ils n’hésitent pas à s’appuyer sur le tourisme et encourager de nouveaux visiteurs. Jean-Christophe et Cécile Brunet ont pour règle de vie : « Trouver une idée nouvelle tous les deux mois. » La dernière est de partager leur domaine, simplement !
Parrainer un rang de vigne
« La mode est aux parrainages, dit Cécile. On parraine une vache, un monument, un tableau. Alors, pourquoi pas un rang de notre vigne ? Nous possédons des chambres d’hôtes dans notre chartreuse, Jean-Christophe attire les amateurs de vieilles voitures qui arrivent de tous les horizons, nous aimons notre région et voulons la faire découvrir de manière ludique. Tous les ingrédients réunis, nous avons foncé. L’année 2011 a vu le début de notre expérience : pour 130 €, le parrain possède son rang personnalisé par une pancarte portant son nom, dont il reçoit un double à son domicile pour épater ses amis, de même qu’une carte de visite. Il suit le millésime, de son premier bourgeon à sa mise en bouteille, soir durant trois ans. Donc, en 2014, il se verra attribuer 12 bouteilles portant « son » étiquette.... »
Et leur formule a fait déjà des adeptes : si, quittant la charmante ville médiévale de Rions, en bord de Garonne, vous empruntez la route pittoresque qui mène au monastère du Broussey, impossible de ne pas remarquer l’alignement de panneaux blancs qui émaillent le vignoble. Les 40 nouveaux terriens ont leur domicile dans le Gers, à Nice, en Bretagne, en Suisse...
La plupart ont reçu leur « propriété » en cadeau pour un mariage, un départ à la retraite, un anniversaire. C’est le don d’un père à ses deux filles, d’une épouse à son mari, d’une jeune femme à trois copains...Cécile se souvient de deux amies qui ont baptisé le rang donné à leurs époux respectifs, en grande pompe, dragées à l’appui.
Les lettres de Cécile
Si Jean-Christophe accorde tous ses soins à la propriété, Cécile se charge de la communication. « J’ai d’abord suivi un stage proposé par l’Office du Tourisme pour créer le site du Broustaret sur Internet, puis je me suis lancée dans le courrier », explique-t-elle. Et elle en écrit des mails ! Tout au long de sa correspondance, on suit l’évolution du travail de la vigne, un propos illustré de photos, de diaporamas et de vidéos.
C’est ainsi que, par un beau dimanche ensoleillé de mars, on pouvait rencontrer les parrains qui apprenaient leur métier sous l’œil attentif de Jean-Christophe, sécateur en main, taillant d’un coup sec les longs rameaux qu’ils fagotaient ensuite pour les emporter, prometteurs de barbecues au parfum de journées heureuses.
Sur les pentes, dans ce site unique qui se perd dans le bleu des rives de la Garonne au loin, vers le miroitement du lac de Laromet, paysage ponctué par la silhouette majestueuse du château de la Benauge et celui du Broustaret, ils travaillaient avec entrain et racontaient leur nouvelle vie sans hésitation. Il suffisait de les écouter ! Un couple de voisins affirmait : « Cette idée originale nous a séduits parce que la vie, c’est la rencontre qui peut être excessivement courte mais intense. » Henri et Jacqueline renchérissaient : « Nous avons échangé les brumes du Nord contre celles de Rions et offert ce bout de terre à nos parents, Claude et Marie-Christine, restés dans le Pas-de-Calais. Nous venons tailler leurs ceps et ils suivent les progrès de leur « propriété » grâce au site de Cécile. » Chacun racontait son parcours, on faisait connaissance. Et l’on termina la journée sur un vin chaud apporté par la maîtresse des lieux avant de regagner son logis, emportant un sachet de grave de leur terroir, des recettes, etc...
De fleur en grappe
Et les nouvelles se succèdent : « Votre raisin se forme, le grain a l’aspect d’un grain de poivre...Le voici maintenant au stade « petit pois »…Votre vignoble n’a subi aucun dégât de sécheresse ou de grêle pour l’instant, il a juste un mois d’avance dans sa maturité... » Un jour, c’est un témoignage en photos : « Les oiseaux migrateurs survolent votre vignoble, le printemps s’annonce. »
En août, les correspondants apprennent : « La grappe est dite « fermée » ; les grains se touchent entre eux et accumulent le sucre, la véraison est terminée. Nous commencerons à faire des tests de maturité la semaine prochaine, ils nous aideront à déterminer la date des vendanges. » Suit un cours sur les maladies de la vigne, mildiou et oïdium.
Enfin est venu le Grand Jour. Levées dès l’aurore, les deux sœurs Claire et Carole sont arrivées de Bordeaux, emmenant Eddy en renfort. Dans la brume matinale, les jeunes gens se sont mis à l’œuvre avec entrain, guidés par les conseils de Jean-Christophe. Les sécateurs ont si bien joué qu’ils purent afficher la fierté du travail accompli en vidant leurs derniers casiers (pressés à part). Il était temps ! L’énorme machine survenait et engloutissait avidement les grappes des autres rangs dans ses entrailles métalliques, stupéfiant les spectateurs par sa rapidité. Puis, tout le monde est convié au chai pour une leçon de vinification grandeur nature. Captivés par l’élaboration de leur cuvée, les parrains subissent ensuite l’épreuve de la montée au pinacle (entendons par-là qu’ils doivent grimper à l’étage et accrocher là-haut la plaque portant leur appellation, qui restera en place durant les deux ans de l’élevage de leur vin).
La gerbaude
Pendant ce temps, Cécile ne reste pas inactive : elle prépare la longue table pour le pique-nique en commun, distribue une recette de pineau que l’on pourra réaliser à partir de jus de raisin. Car elle aime les petits cadeaux, on l’a compris, et les grandes repas conviviaux où chacun apporte un peu de sa région, tels ces Ch’tis qui partagent leur maroilles ou ces Bordelais qui font découvrir leurs cannelés.
Au dessert, les hôtes ont réservé une surprise à leurs invités. « Depuis deux ans, il n’y a pas eu de gerbaude chez nous et nous tenions à ressusciter cette ancienne coutume », avouent-ils. « À la fin des vendanges, chaque participant offrait une fleur à la patronne qui composait ainsi une gerbe, suspendue ensuite à la plus haute poutre du chai par le vendangeur le plus âgé. » Ce qui est exécuté avec une variante : c’est Eddy, le benjamin, qui monte à l’échelle, installe le bouquet et inscrit de sa belle écriture le millésime 2011.
De presse en cave
Les mois se suivent... Le 7 octobre, Cécile annonce « L’œnologue est passé, il a dégusté votre cabernet, le décuvage aura lieu lundi. » Et le 20 octobre : « Votre vin est au frais, ça y est, première gelée matinale ! La fermentation malolactique ne peut démarrer qu’à une température de 20°, alors nous allons profiter des vacances de Toussaint. »
Au retour, elle raconte encore : « Pour obtenir la température désirée, nous avons entouré la cuve d’un magnifique plastique à bulles et placé un petit radiateur au-dessous. Elle est chouchoutée, nous prélevons régulièrement un échantillon pour voir si les bactéries responsables de la fermentation s’activent. Nous vous tenons au courant dès que ça bouge ! » Et elle termine : « Très vite, j’espère, ou la note de fioul va être salée... »
Au fil ses saisons
Ainsi passent les saisons. Les feuilles prennent une teinte dorée, bientôt les ceps se dénudent. Un cycle s’est accompli, le bilan en est positif. « L’essentiel, c’est d’apprendre le métier de viticulteur et savoir qu’il est étalé dans le temps et demande de la patience », conclut Cécile qui ajoute : « Nous avons créé un réseau d’amis, nos échanges sont chaleureux et c’est un signe de réussite. » Elle avoue sa satisfaction, également, à l’heure des comptes. « Notre vignoble stagnait depuis quelques temps. Eh bien ! Cette année, nous enregistrons un bénéfice, c’est encourageant. »
Du côté des parrains, le constat est identique lorsque l’un d’eux écrit : « J’ai reçu des invités, et ouvert une bouteille du Broustaret. Eh bien, croyez-moi, ça le fait, d’offrir le vin de sa propriété ! »
Any Manuel
Site du Château : www.broustaret.net