Destins brisés
C’est l’automne, l’époque des prix littéraires. Jérôme Garcin, lauréat du prix François Mauriac, pour son livre Bleus horizons, répond aux questions des lycéens.
Ce prix François Mauriac est toujours attribué aux livres évoquant la société de notre temps. Cette année, les membres du jury ont élu, au premier tour, le livre Bleus horizons. Le centenaire de la guerre de 1914 a guidé leur choix. Jérôme Garcin, élégance naturelle, arrivé de Paris en train, avant de recevoir officiellement le prix, consacre une heure d’interview aux lycéens de Langon et de Lormont.
L’Observatoire est invité à cet échange. Le contact s’établit très simplement. Dans une salle de l’Hôtel de Région, Jérôme Garcin retrace sa carrière de journaliste et d’écrivain. Il indique ses activités au Nouvel Observateur et à la radio, pour l’émission culte du dimanche soir Le masque et la plume qu’il anime depuis 25 ans. Il précise que des spectateurs assistent à cet art de la rhétorique qui fait rire aussi les auditeurs.
— Avez-vous déjà obtenu des prix littéraires ?
— J’ai eu quelques prix, depuis dix ans, dit-il, avec un large sourire. Je me suis mis à écrire à 38 ans, à temps perdu. Après des drames personnels, mort d’un frère jumeau à 7 ans et de mon père, j’ai nourri tous mes livres de ces deuils et de la passion du cheval. J’ai trouvé un équilibre entre vie professionnelle et écriture. Dans le livre Bleus Horizons, Jean de La Ville de Miremont est le héros. C’est un poète peu connu, même à Bordeaux. Il est né en 1886, dans une famille protestante. Il rêvait sur les quais de la Garonne de partir au loin et il est parti seulement pour Paris, pour devenir « rond de cuir » au ministère du Bien public. Il s’est engagé volontaire en septembre 1914 et trois mois début de la guerre, en novembre 1914. Dans ce livre, j’ai aussi imaginé un ami de Jean de La Ville de Miremont, un frère d’armes. Je lui ai prêté des réactions que j’ai eues lorsque mon frère jumeau est mort.
— Pourquoi avoir choisi ce poète ?
— J’aime beaucoup ses poèmes ! Jean de La Ville de Miremont est mort debout, les armes à la main, en sortant de la tranchée. L’homme a été saisi dans l’action comme ceux de Pompéi, figés par la lave du volcan. Il y a un rapport troublant avec les destins brefs. On dénombre 600 écrivains français morts pendant la première guerre comme Alain Fournier, Charles Péguy ou Louis Pergaud.
— Pourquoi ce titre ?
— Bleus est au pluriel car il existe le roman de Laurent Dorgelès, écrit au singulier. Le bleu est la couleur du vêtement des poilus. Les horizons font référence à L’horizon chimérique écrit par le poète Jean de La Ville de Miremont.
— Combien de temps vous a-t-il-fallu pour écrire ce roman ?
— Environ un an et demi. Tu trouves que c’est trop long, la prochaine fois je tâcherai de m’améliorer !
— Comment vous êtes-vous documenté ?
— J’ai puisé dans les documents de la Bibliothèque Nationale, les témoignages de ceux qui sont ressortis vivants. Ils étaient traumatisés par l’horreur, ce qui les empêchait de revenir à la vie. J’ai lu les ouvrages de Michel Suffran qui a rassemblé les lettres envoyées par Jean de La Ville de Miremont, j’ai aussi lu des lettres de poilus, j’ai travaillé sur les documents du 57e régiment d’infanterie.
— Pourquoi certaines pages sont écrites en italique ?
Pour une lecture plus facile, le roman est écrit comme le récit fait par Louis Gémon, l’ami de Jean. Ses poèmes, ses lettres et son premier roman sont marqués en italique. Les paroles des deux amis, leurs pensées, leurs rêves sont imaginés. Louis sera blessé, puis convalescent et consacrera sa vie à faire reconnaitre et publier les écrits de son frère spirituel. Il rencontrera François Mauriac qui était l’ami de Jean, Gabriel Fauré et l’éditeur Bernard Grasset qui publiera en 1929 L’horizon chimérique.
Le temps de l’interview touche à sa fin. Les élèves sont impatients, ils se regroupent autour de l’auteur, ils veulent tous une dédicace !
Pierrette Guillot