Quand l'automne se rebiffe
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, une indicible mélancolie envahit les êtres. Que de clichés désuets utilisés à mon encontre.
Je suis, je suis… l’automne !
Certains de mes détracteurs poussent le raffinement jusqu’à employer des anglicismes comme spleen ou blues pour me caricaturer. Supportant de plus en plus mal les procès d’intention et les basses accusations, j’ai décidé de prendre la parole.
Front anti-automne
Jacques Prévert aurait-il écrit Les feuilles mortes sur un coup de cafard ? Toujours est-il que son texte défigure à jamais ce remarquable phénomène qu’est la défeuillaison. Victor Hugo m’a lâché car, pour lui « L’été qui s’en va est un ami qui part. » Apollinaire est encore plus radical « L’automne a fait mourir l’été », j’attendais mieux de Verlaine et de ses Poèmes saturniens quand il évoque « les sanglots longs des violons de l’automne ». Heureusement Radio Londres en juin 44 fit de ces vers le message de l’espoir et de la Résistance.
La pluie, la tiédeur du soleil, le manque de lumière, les premiers frimas engendreraient une morosité ambiante, pour ne rien arranger le changement d’heure intervient fin octobre. Mais un soleil permanent serait-il supportable ? C’est là que la transition que je propose s’avère une nécessité.
Tous ces griefs ignorent le superbe prolongement de l’été qu’est mon été de la Saint-Martin ou l’été indien, j’en suis particulièrement fier.
Quand Vivaldi compose Les Quatre Saisons, il me traite à égalité avec mes trois rivales, or l’opinion publique continue de me préférer le printemps et le réveil de la nature, le soleil roi de l’été et même l’hiver pour ses décors de cartes postales.
Que puis-je opposer à mes concurrentes en matière de jours fériés quand Pâques et Pentecôte drainent la ferveur religieuse, que le 14 juillet fait danser tout un peuple et que Noël rassemble les familles ?
Je n’ai, hélas, que quelques chrysanthèmes et le silence des cimetières de la Toussaint ou le respectueux recueillement devant les monuments aux morts du 11 novembre.
Je fondais beaucoup d’espoir sur le côté ludique d’Halloween, or mes cucurbitacées n’ont pas soulevé le même engouement qu’Outre-Atlantique.
N’est-il pas machiavélique d’insinuer que les rubriques « Obsèques » des journaux explosent en automne ?
Certains glissent même insidieusement que les monstres sacrés, Piaf, Cocteau ou Brel sont décédés en octobre. Ainsi, je serais responsable des méfaits de la morphine, de l’opium et du tabac.
Je ne tolère plus que l’automne symbolise le déclin car combien de maisons de retraite ou de RPA* répondent au nom de « Sourire d’automne », leurs pensionnaires seraient à l’automne de leur vie, alors qu’ils sont souvent dans l’hiver de leur existence. Jusqu’à la rentrée des classes qui symboliserait la morosité, une occasion pour l’été de se faire regretter.
Historiquement vôtre
Mes adversaires n’hésitent pas à s’emparer de l’Histoire pour attenter à mon honneur. Ainsi, selon eux, j’aurais fait le lit de l’Empire quand le 18 Brumaire, Bonaparte renversa le Directoire et proclama le Consulat. Mais un 17 octobre, c’est la révolution russe qui provoque la chute du tsar, je serais alors à l’origine du collectivisme.
Tous se gardent bien de parler d’un certain 9 novembre 1989 qui vit la chute du Mur de Berlin.
Je rappelle que l’automne est aussi la saison des grandes conquêtes, n’est-ce pas le 12 octobre 1492 que les trois caravelles de Christophe Colomb atteignaient l’Amérique ?
Et c’est un 4 octobre que fut lancé par l’URSS, Spoutnik, premier satellite artificiel de la Terre.
Je voudrais revenir sur le 29 novembre 1812 : le passage de la Bérézina par la grande Armée doit-il être considéré comme un désastre ou bien comme un succès de Napoléon ? Même si les historiens se déchirent encore pour qualifier l’événement, l’évocation de la bérézina est désormais synonyme de débâcle comme l’automne est symbole de déclin.
J’aurais pu associer à mon nom, ces paniers garnis de champignons, les plaisirs de la chasse, la beauté des vendanges, vanter les fleurs du printemps devenues fruits d’automne. Modestement, je laisse à d’autres conteurs le soin de le faire.
Non, il n’existe ni malédiction ni maladie de l’automne, la dépression est de toutes saisons et les feuillages pourpres ou mordorés dont je me pare ne sont ni leurre ni trompe-l’œil.
Parano, l’automne ? Peut-être mais que ce coup de gueule m’a fait du bien !
Claude Mazhoud