Tous saints ?
La proximité de la Toussaint avec la fête des morts entretient-elle une certaine confusion?
Il est assez ordinaire de dire qu'à la Toussaint, on fête les morts. L'automne installé depuis une dizaine de jours avec son lot de feuilles mortes, ses vagues migratoires de palombes et de grues vers le Sud, ses poussées mycologiques, l'approche inéluctable de la Toussaint et de son rituel nous amènent à nous pencher sur notre sort.
Défunts et trépassés
Le calendrier est incontournable : le 1er novembre, c'est la Toussaint, le deux, c'est le jour des morts. « C'est le deux qu'il y a le plus de monde dans les cimetières, plutôt des personnes âgées seules, quelques familles, les jeunes pas très souvent », confie monsieur T., employé municipal au cimetière de la Chartreuse. « Les gens en profitent aussi pour nettoyer les tombes, remplacer les fleurs fanées et même les artificielles qui sont décolorées. » Le débit du discours est lent, ponctué de longs silences. « Quoique maintenant, les gens font de plus en plus souvent appel à des services d'entretien à l'année » La présence d'un véhicule électrique pour transporter les personnes et les offrandes témoigne d'une adaptation aux besoins des visiteurs. La voix nasillarde d'un haut-parleur, nous annonçant une cérémonie imminente, interrompt notre discussion. Monsieur T. regagne son bureau de gardien pour contrôler l'entrée du cimetière.
De tout temps, dans toutes les cultures, la fête des morts donne lieu à de véritables manifestations. Dans la culture mexicaine, la mort est une renaissance, un renouveau, les masques mortuaires sont souriants, on chante, on joue de la musique, on boit du chocolat chaud et on mange le pain des morts. Aux Antilles, c'est au rhum que l'on fête les ancêtres. En Sicile, des petits biscuits recouverts de sucre blanc sont offerts aux enfants ainsi que des cadeaux. Ce sont les défunts qui honorent les descendants. En Chine, des lampions accrochés à des cerfs-volants scintillent dans la nuit.
Sanctus
Au milieu de l'allée principale du cimetière, trois prêtres se dirigent d'un pas alerte vers la sortie. Vêtus de leur habit de couleur blanche, une tunique avec un scapulaire et un capuce noirs (pièces de tissu avec capuche sur les épaules), sourire aux lèvres, ils semblent flotter dans un état de grâce. Ce sont des frères dominicains de la paroisse Saint-Paul à Bordeaux. Béret vissé sur la tête, le plus âgé, sous-prieur de son état, répond à notre curiosité : « À la Toussaint ? On fête les saints, tous les saints, ils sont vivants. Ils sont dans la lumière, auprès de Dieu. » Les deux autres frères, bien plus jeunes, acquiescent de la tête. « Si l'on fête les morts le lendemain, continue-t-il, c'est pour les honorer certes, mais surtout ne pas les oublier et faire en sorte que par nos prières, notre présence, ils attendent d'être appelés auprès de Dieu. Plus tard, eux-aussi seront accueillis. » Un rien malicieux, « le purgatoire, c'est un peu le pressing du bon Dieu, une fois lavées de leurs péchés et purifiées, les âmes rejoignent le Père » confie-t-il.
La cohabitation
Dans le monde celte, la nuit du 31 octobre au 1er novembre était le début de la nouvelle année. C'était aussi la fête des morts ou plutôt la communication entre les vivants et les morts. Les esprits des défunts pouvaient revenir dans leurs demeures et les vivants devaient les accueillir. Durant notre premier millénaire, l'histoire de la fête de la Toussaint est une longue lutte du monde chrétien contre la fête païenne des morts. L'Église demanda à Charlemagne d'instituer une fête de tous les saints le 1er novembre substituant les saints aux esprits des morts. Et ce n'est que vers l'an 1000 qu'est instaurée la commémoration des défunts le deux novembre.
« Il n'existe pas de société sans rituel funéraire. Son universalité est sans doute l'un de ses premiers traits caractéristiques » nous rappelle Patrick Baudry*, sociologue. Notre rapport à la mort par le biais de cérémonies offertes à nos ancêtres construit notre culture. Honorer nos défunts consolide et perpétue l'humanité.
Jean-Louis Deysson
* Patrick Baudry Le mourant édition M-éditer