Vendanges amères

2013, millésime mémorable ? Oui, mais pour de tristes raisons : coulure, mildiou, grêle, pourriture, rien n’aura été épargné aux viticulteurs de l’Entre-deux-Mers.

 

Dix octobre, temps radieux et humeur joyeuse parmi les élèves œnologues de l’UTL-Créon. Chacun se prépare, sécateur en main, à récolter les précieuses grappes pour élaborer le rosé utélien 2013. Mais cette année, les dons de raisin sont rares : du glanage chez l’un, quelques pieds chez l’autre, un bout de rang ailleurs…

À peine assez pour espérer remplir la cuve d’un hl ! « Impossible d’être plus généreux par une année aussi calamiteuse » explique le professeur.

 

Un millésime mort-né

Au Château Lestrille, Estelle Roumage, jeune viticultrice sur une propriété de 40ha, revient sur le printemps désastreux : « La floraison s’est faite sous la pluie avec 15 jours de retard, laissant présager des vendanges tardives et un faible rendement. En effet, le merlot, notre principal cépage, est sensible à la coulure et la non fécondation des fleurs. Le temps a aussi favorisé le millerandage, la formation de grappes irrégulières dont les baies les plus petites ne mûriront pas. Le mildiou était aussi en embuscade et l’été chaud et sec n’a pas réparé ces dégâts.

Les blancs, ramassés sans problèmes, mais en faible quantité (34 hl/ha) donneront un vin correct mais c’est avec les rouges que nous avons eu le plus de soucis. En raison de la conjonction chaleur/humidité en septembre, la pourriture est apparue.

Quand on remarque les raisins angora, le botrytis vulgaire est déjà depuis 5 à 8 jours dans la baie qu’il va faire éclater, provoquant la contamination de toute la grappe en 48 heures. En 3 jours, la récolte peut être anéantie.

Alors, nous avons vendangé dans l’urgence, des raisins insuffisamment mûrs : 2 jours et demi de récolte au lieu des 5 semaines habituelles, pour 27 hl/ha ! Nous savions déjà que la qualité ne serait pas au top : moins de couleur, d’arômes, de degré alcoolique.

Nous avons alors choisi, pour garder notre image de ne pas mettre de rouge en bouteilles : pas de millésime 2013 chez nous !

Nous allons vinifier davantage de rosé et de clairet très prometteurs. Malgré tout, notre chiffre d’affaires sera divisé par deux. Heureusement, nous avons du stock à la vente mais c’est un rude coup du sort qui nous prouve encore qu’en dépit du progrès de nos techniques, c’est bien la nature qui fait la loi. »


 

 

La pourriture a anéanti la récolte (photo C. Bonnetaud)
La pourriture a anéanti la récolte (photo C. Bonnetaud)

Un millésime maudit

À la Sauve Majeure, Stéphane Le May, propriétaire du Château Turcaud, a connu un fléau de plus : le 2 août, la grêle s’abat sur tout le vignoble. Feuilles hachées, bois cassés, baies éventrées, en 10minutes, 50 à 60 % de la récolte est détruite.

M. Le May est assuré contre les dégâts de la grêle, alors, il achète sur pied 40 % de sa production de blanc à des vignerons épargnés.

L’espoir revient, mais hélas, comme dans l’Egypte biblique, les plaies se succèdent : mildiou mosaïque, orage et pluies torrentielles précipitent la récolte des rouges. l faut surtout vendanger 12 ha de plus et loin du château !

« Notre produit phare, la Cuvée Majeure, sera quand même produit sur les meilleures parcelles, dans un volume normal. Cependant, le prix de revient est démesuré par rapport à la qualité et même si les cours du négoce grimpent, on ne peut répercuter totalement cette hausse sur la vente en direct sans risquer de perdre notre clientèle particulière. » confie avec inquiétude M. Le May.

 

Perspectives mi-figue mi-raisin

De l’avis éclairé – et un peu cynique – d’un connaisseur du marché bordelais « L’avenir marchand de ce 2013 n’est pas désespéré car ce qui est rare est cher et on verra sans doute aussi, pour cause de pénurie, monter les prix des 2012, millésime très moyen, auquel on va trouver soudainement des qualités insoupçonnées !

Ajoutons à cela le droit récent de mettre dans une bouteille 15 % d’une autre année que celle indiquée sur l’étiquette, ce qui rendra la pilule moins amère pour les piètres 2012 et 2013. »

Quant au devenir du vignoble, J.L. Bertaud, chef de culture à Turcaud, redoute les séquelles de la grêle : « Les bois se nécrosent, la taille sera plus longue et plus délicate » mais il veut croire que l’importance du phénomène et sa répétition (2003, 2009, 2013) provoqueront, dans la profession, une réflexion sur la prévention car il existe des techniques éprouvées pour empêcher la formation de grêlons de grosse taille.

Sera-t-il entendu et parviendra-t-on à pacifier la nature en désamorçant l’une de ses armes les plus redoutables pour la vigne ?

 

Claudine Bonnetaud