Editorial
Il y a d’abord cet instantané, droit surgi des lectures d’Astérix : « Engagez-vous, rengagez-vous, qu’ils disaient.» Puis, voilà que ce simple mot, s’engager, grandit, et, tel un éventail qui se déploie, ouvre et multiplie les pistes. Mais, quelle que soit celle empruntée, on en revient instinctivement à la même acception, celle du dévouement, de la bienveillance, de la charité, du don de soi. Comme si l’engagement ne pouvait déboucher que sur un beau contrat moral, sur les couleurs d’un éclatant jour de mariage, sur les effluves de serments échangés, sur le romantisme de servir une noble cause… en un mot, sur une fragrance d’optimisme qui apaise alors qu’approche le quatorzième mois d’une vie masquée.
Et c’est vrai qu’avec le recul de cette année peinte de gris, on préfère d’abord songer aux engagé(e)s qui ont permis à notre société de survivre : les soignantes et les soignants, qui, montés au front, écopent depuis la mortelle écume des vagues qui s’enchaînent ; les travailleurs dits de seconde ligne obligés d’œuvrer au contact du public sans être sûr que celui-ci se protège suffisamment à leur égard. Sans mépriser non plus l’engagement quotidien des anonymes de la troisième ligne, bien obligés de faire tourner le pays quitte à s’empoisonner dans les transports en commun.
Outre les professionnels et volontaires, prêts à risquer leur vie pour en sauver d’autres, on doit aussi penser à tous ces bénévoles qui viennent en aide aux plus précaires, aux sans-abris, aux réfugiés, aux oubliés de tous âges. Elles/ils n’ont d’autre ressort que le seul altruisme, la simple humanité, le désir de mettre de côté un peu de leur bien-être, de leurs petites richesses, pour tendre la main et partager un peu de leur optimisme. Quitte à sortir de leur zone de confort, de la tranquillité de leur vie, et prendre conscience que le partage reste une des plus belles valeurs humaines.
Parallèlement, cette période d’extrême tension a laissé apparaître d’autres engagements, bien moins recommandables. Ils sont le fait des complotistes, sectaires, défenseurs autoproclamés d’une prétendue liberté. Dans leur ignorance, ils s’en réfèrent à Nietzsche « Il faut vivre dangereusement ». C’est oublier que le philosophe poète voyait dans sa sentence une possibilité de s’ouvrir à sa propre souffrance. Non à celle qu’on inflige à ses voisins.
Ces gens-là, dans le qualificatif de médiocrité que leur octroierait Brel, ne peuvent nous faire oublier que la décision de s’engager, prise dans la plus belle acception du terme, suppose d’abord de faire œuvre d’attention aux autres, de dévouement, de service, de partage ; cette même décision signe évidemment une volonté d’appartenance à un monde fraternel et solidaire.
Si s’engager c’est passer un contrat d’humanité avec la société, alors, « engagez-vous, rengagez-vous », cent fois oui.
Jean-Paul Taillardas