L'argile, une arme redoutable
Ce minéral amorphe que nous prenions pour un allié, se révèle mortel pour nous, les pucerons verts du pêcher.
Comment avons-nous pu nous laisser surprendre par cette attaque sournoise de l’homme, notre principal ennemi, qui ne veut rien partager en régnant de la façon la plus intolérable sur les espèces animales, en s’arrogeant le droit de vie ou de mort ? Que ne ferait-il pas pour avoir des pêches plus grosses et plus nombreuses ! Empoisonner la terre et ses propres frères humains avec tous les produits chimiques apportés, pour mieux nous tuer jusqu’au dernier !
Perte de repères
Pour une fois que l’homme utilisait un produit naturel, l'argile, il visait en fait à mieux nous exterminer en contrariant notre reproduction par une application dont nous ne pouvions pas nous méfier, tellement elle nous paraissait proche de notre milieu naturel.
Comment nous sommes-nous laisser perturber par la présence d’une fine couche d’argile sur l'arbre, notre hôte favori au point d’avoir de graves difficultés pour nous multiplier à la sortie de l’hiver ? Ce produit n’a pas de véritable effet toxique sur notre corps même si nous sommes très délicats. En revanche, cette présence continue et lisse qui revêt toutes les parties de l’arbre en dégageant une certaine luminescence, nous enlève nos repères physiques et physiologiques habituels. Elle contribue ainsi à contrarier gravement le développement de notre population.
Déjà que nous supportions mal la présence, de plus en plus agressive, des coccinelles capables de nous dévorer par dizaines chaque jour. Heureusement nous nous multiplions très vite, en plusieurs générations qui explosent littéralement dès le printemps, en couvrant le dessous des feuilles. La sève nourricière de cet arbre béni est un véritable délice. Nous l’apprécions d’autant plus qu’il nous accueille sans gémir, alors que nous l’affaiblissons et déformons fortement son feuillage. Voila un être partageur mais à vrai dire, que lui apportons-nous, à part notre compagnie !
Comment survivre
Réunis en conseil de guerre, nous décidons pour mieux tolérer ce traitement, d’en savoir plus sur cette argile qui a trahi notre confiance.
Au sens commun, c’est une roche terreuse, qui imprégnée d’eau devient imperméable et plastique. Pour les rares hommes que nous fréquentons parce qu’ils respectent l’environnement et notre espèce, c’est un produit propre, utilisé pour la poterie, la cosmétique et même la santé, d’où notre confiance première.
Pour les agronomes que nous consultons toujours avec prudence, c’est une particule dont la dimension est de quelques micromètres. La vision des géologues est moins rassurante; c’est un minéral de la famille des phyllosilicates comprenant deux couches de silice et d’alumine. Manifestement cela dégage un côté chimique inquiétant !
On ne peut douter de la faculté des hommes de choisir la forme d’argile la plus redoutable, voire d'en améliorer le côté nuisible à notre égard pour la rendre plus efficace. Grâce à un allié doux rêveur, présent dans les laboratoires de recherche, nous en apprenons plus. Des différentes espèces connues, la kaolinite, extraite en Bretagne et dans la région de Limoges, est la plus efficace pour nous anéantir.
Les plus savants nous précisent qu’elle active les mécanismes de la cicatrisation et renforce ainsi la résistance du végétal. Ses capacités d'absorption de substances nutritives sont bonnes. L’arbre n’est pas perturbé par sa présence. Les hommes sont donc d'autant plus encouragés à l’utiliser contre notre espèce.
Pour renforcer encore son efficacité, nous apprenons dans un rapport top secret, communiqué par un espion grassement rémunéré, que cette argile d’abord calcinée fait l’objet d’une préparation spéciale avec des additifs améliorant son pouvoir d’adhérence. Elle répond au nom de code de Surround WP®.
Pauvres de nous, comment résister à tant de perfidie ? Pour assurer notre survie, ne serait-il pas opportun de nous rallier à la proposition de notre président, pourtant minoritaire dans l’opinion des pucerons verts, de signer un pacte de responsabilité avec le représentant des hommes, en s’engageant à réduire notre capacité d’attaque du pêcher, même sans véritable contrepartie !
François Bergougnoux