Pauvre Terre !

Espaces infinis où le ciel et la terre se rencontrent, sans un bruit, entourés de grandes étendues d’eau…Toi, Gaïa, la terre, merveille des merveilles qui a créé la richesse de ta nature, verdoyante, quel destin te réservent les hommes, soucieux d’en tirer profit ?

 

Petite fourmi, j’habite la terre où j’ai créé ma galerie depuis des millénaires avec mes sœurs, travailleuses acharnées et je sors, attentive au moindre murmure. Aurai-je bientôt assez d’espace pour me loger pendant que la taupe humaine creuse, creuse en quête de minerais ?

Photo D. Sherwin-White
Photo D. Sherwin-White

Alerte !

Regarde le ciel rouge, on dirait un tableau de peintre ; le ciel s’est enflammé et le tonnerre de la révolte va résonner sur nos terres fermes. La Terre est en colère. Au loin, les vaguelettes se transforment en gigantesques murs d’écume. Ne vous approchez pas, vous allez être dévorés par leur force implacable ; quel est cet animal borné qui se prétend intelligent mais qui n’a de cesse d’anéantir son milieu pour constituer un monde inodore et sans saveur ? Dans son plaidoyer, Yves Paccalet* s’écrie : « Tel un bateau ivre, l’humanité est comme une droguée, avide, déjantée, asservie à ce qu’elle dit être le progrès qui aura sa perte. » Où sont ces petits volatiles qui charmaient le promeneur par leur gazouillis ? Ils sont là gisant près des côtes marines ; les poissons empoisonnés ; les montagnes couvertes de béton, les côtes déchiquetées par les tempêtes ; «  l’esprit de la terre ruiné, bafoué, assassiné. » Platon dit : « L’homme est un animal à deux pieds sans plumes, un poulet un peu poilu. » Est-il devenu un « barbare à deux pieds sans plumes » comme le dénonce Paccalet ?

 

Saccage

Où sont les communautés premières, les aborigènes d’Australie, les pygmées d’Afrique, les Samoyèdes de l’Arctique ? Et les Inuits, obèses, gavés de big macs et de sucre, presque tous diabétiques. On leur a envoyé des explorateurs, des commerçants qui les ont anéantis. La Papouasie est envahie de déchets. La terre Hispanolia, découverte par Christophe Colomb, couverte de forêts d’émeraude, de fleurs, de perroquets, de colibris ressemble à une montagne toute pelée. Moi, l’Amazonie, je n’arrive plus à respirer, je n’ai plus qu’un poumon car l’homme m’a brûlée. Et moi, l’oiseau migrateur, perdu dans les cieux, je contemple le récif des coraux asphyxiés. Dans les îles Sumatra, souvenez-vous du tsunami du 26 décembre 2004 qui a causé 2 000 morts ; dans les îles Bornéo, l’orang-outang ne subsiste que dans des parcs ; les rhinocéros, les tigres de Java à Bali se raréfient pour s’éteindre. Les volcans s’énervent et jettent leurs entrailles. La terre se réchauffe et les glaciers fondent…Me voici en train de survoler le lac Titicaca, entre la Bolivie et le Pérou, situé à 3 670 mètres d’altitude, dans un cadre unique : il se meurt. Une algue, contaminée par les phosphates et les nitrates, prolifère et entraine la mort des poissons et du saumon, importé par les canadiens ; à sa surface surnage une écume transformée en bave grâce à ceux qui y ont versé leurs détritus. Vais-je à mon tour être condamné ?

 

Toujours plus grand

8 milliards d’habitants en 2020 ? Dix milliards en 2050 ? L’homme est-il un ogre, un Jack l’éventreur ? Il a besoin d’espace vital. Nietzche, lui, le nomme : volonté de puissance. Son désir et sa folie ne se concrétisent-elles pas à la vue des gratte- ciels, dans les géantes mégalopoles de Shanghai et Pékin où ils se juxtaposent, gagnant sans cesse des étages vers les cieux, les habitants enfermés dans des cages exiguës. Dans les rues, les passants aux visages masqués ont de la peine à respirer. L’homme est-il à la fois un bourreau et une victime ?

Toujoursanimé par un désir d’extension, il en veut toujours plus. Moi, Robinson, je quitte mon île pour aller faire un tour du côté des hommes avides de biens de consommation dans une grande surface. Le parking s’est agrandi d’un parking à étages, des travaux de bétonnage et goudronnage sont amorcés. À l’intérieur, un panneau vidéo et la voix d’une charmante hôtesse annoncent l’installation de nouvelles boutiques. J’ai besoin simplement d’une tisane au gingembre et au citron mais avant d’y parvenir, je dois, infatigable, parcourir un espace multimédia où les appareils les plus perfectionnés rivalisent de prix, puis je traverse un magasin de mode, un rayon bijoux et accessoires et enfin je parviens au bon endroit : laquelle choisir parmi toutes ces marques qui défilent ? Twining, Lipton, de Chine, Ceylan, Afrique ? Ma tête s’affole. Où est le citron gingembre ? Introuvable. Et, en face de moi, mon regard est saisi par le plastique à perte de vue : du poulet label rouge aux steaks emmitouflés par paquet, des magrets, des saucisses enfermées dans une enveloppe opaque et le tout sous une verrière intitulée « produits frais ». Puis le rayon bio, immense car il y a le bio du bio et l’enseigne : « consommez mieux, vous serez plus heureux ! » Mon estomac se resserre devant les plats cuisinés. Crevé, liquéfié, le cerveau en friche, j’abandonne, quittant ces lieux de la septième dimension. Vite, je reprends souffle pour m’engouffrer dans un petit commerce où les carottes sont vraiment roses de fraicheur et les poireaux vraiment verts.

Le génie humain avec toute sa modestie pourra-t-il panser les plaies infligées à Gaïa ? Moi, petite fourmi, ne m’ôtez pas l’espoir de retrouver ma terre ferme sans pesticides où il fait bon se vautrer !

Élisabeth Cadilhon-Gillon

*Yves Paccalet L’humanité disparaîtra, bon débarras ! Prix du pamphlet 2006