Vues du train
Les images défilent aux fenêtres des trains du passé, d'ailleurs, du futur.
(photos de D. Gardes)
En cent cinquante ans, la vitesse des trains n'a cessé de s'accroître. La perception des voyageurs a petit à petit changé. Qu'en sera-t-il dans les trains du futur ? L'évolution du numérique va-t-elle compenser ce que l’œil ne pourra plus voir ? C'est dans une machine à voir et non à se mouvoir que nous abordons ce voyage.
Le choc visuel
1842, le réseau ferroviaire français commence à déployer ses ramifications tentaculaires. L'écrivain Paul de Kock propose une curieuse métaphore : « On voit fuir devant soi les arbres, les maisons, les villages. Tout cela passe plus vite que dans une lanterne magique. »
À cette époque, la vitesse, quatre fois supérieure à celle des attelages, entraîne de nouvelles perceptions visuelles. Comme le remarque Louis Napoléon Bonaparte lors d'un voyage en 1833 : « Tout disparaît avant qu'on ait pu les fixer. » Les usagers, confrontés à une nouvelle perception, sont désemparés : Victor Hugo dans une lettre à sa femme Adèle en 1837 : « En train tout va trop vite, tout passe, tout devient raie. »
La seconde génération de voyageur, après les années 1860 s'accoutume petit à petit. La vitesse n'est plus une entrave, le paysage est regardé avec attention. Camille Corot abandonne la diligence pour prendre le chemin de fer, sa peinture se modifie (cité par Henri Vincenot). Johan Jongking, peintre néerlandais et ami de Corot, évoque pareille influence sur son style pictural : « Dans le cadre de la fenêtre, j'ai vu passer mille tableaux successifs et j'ai compris que c'était comme cela qu'il fallait peindre, ne retenir que l'essentiel de la lumière surprise à des moments différents. » Y a-t-il en germe le programme d'un regard qui s'appellera bientôt impressionnisme ? Vision subreptice et fugace. Ils avaient remédié à la célérité du train par la rapidité de leur regard.
Images indiennes
2016, le sud de l'Inde, province du Kerala. Le trajet de Calicut (Kozhikode) à Cochin (Kochi) dure quatre heures pour un parcours de 180 km. Le choix est vite fait entre un compartiment réfrigéré par une climatisation polaire, pourvu de vitres opacifiées par la poussière et la station debout devant la porte ouverte du wagon. Nous optons pour la ventilation naturelle, yeux grands ouverts. La vitesse ne dépasse pas 50km/h. Le vent donne un peu de fraîcheur et distille une multitude de parfums. Sous nos yeux, se succèdent des scènes de vie et des paysages improbables. Au bord d'un lac, des femmes en sari lavent du linge. La splendeur des couleurs contraste avec la lourde besogne. Sur le quai d'une gare, un groupe d'écoliers en uniforme bleu et blanc attend. Le soleil éclatant illumine leurs bustes. Dans la campagne, des rizières, les pieds dans l'eau, reflètent le ciel changeant. Plus loin un homme laboure un champ. Son dhoti blanc, à la façon d’être noué, témoigne de ses origines. Un bœuf efflanqué tire le soc de la charrue. Au soleil couchant, nous franchissons le bras d'un fleuve, mille feux rivalisent entre ciel et terre. Ces images resteront gravées pour longtemps.
Voyageurs connectés
Juillet 2017, la ligne à grande vitesse entre en service. Elle relie Bordeaux à Paris en deux heures (300km/h.) Vingt-cinq ans ont été nécessaires à sa conception et réalisation. Le budget est de 7,8 milliards. Pour pallier la rapidité du déroulement du paysage et afin que les voyageurs aient des repères, Vu du train* est une documentation gratuite consultable sur ordinateur, tablette ou téléphone. Google map permet la géolocalisation. Les points bleus sont la position du voyageur, les rouges les liens vers lesquels trouver des informations. Les articles racontent l'histoire des territoires traversés, des anecdotes régionales. Villages et châteaux sont décrits avec des photos de professionnels ou d'amateurs. Des peintures ou cartes postales du passé illustrent les lieux. Cette application relate aussi la vie des hommes célèbres.
La mise à jour est faite régulièrement. Une extension au sept pays européens concernés par la LGV est en cours.
Qu'en sera-t-il dans l'avenir si la vitesse s’accroît encore ? Serons-nous derrière une fenêtre d'un blanc spectral ? Toutes les couleurs se confondront-elles à l'image du disque de Newton ?
Danièle Gardes
*www.vu-du-train.com