Des cafés où l'on cause
Faisons plus ample connaissance (Zinc Pierre)
Les téléphones portables ont transformé l’espace public en lieu où nous nous retrouvons isolés et subissons l'intimité d’autrui. Les café-langues sont-ils là pour remettre la parole à sa juste place ?
Ce mardi soir, en poussant la porte du Zinc Pierre* au centre d’animation Saint-Pierre, rue du Mulet à Bordeaux, nous sommes entrés dans un autre monde. C’est Abdel, ami syrien, qui nous a invités à ce café-langues (échanges au travers du langage). La demi-heure d’avance nous permet de rencontrer les animatrices de ces lieux et de nous rassurer. Dans la salle, une dizaine de tables avec dessus des feuilles où l’on peut lire : espagnol, japonais, anglais, français, arabe... Passons à notre installation. À l'entrée, une liste où nous écrivons nos noms et mail ; l’inscription coûte 1 euro et nous ne sommes pas obligés de prendre une boisson ; puis nous nous collons une étiquette : nom et langues parlées (français, anglais, arabe,..). Nous nous dirigeons vers la table « français » déjà occupée. Bon, pas de problème, nous nous mettons à la table arabe, personne mais sièges confortables. Les amis d'Abdel arrivent avec Hicham et son téléphone portable éternellement collé à son oreille. Le groupe se forme. Nous pouvons commencer.
Règles du jeu cachées
Marie prend la parole devant 70 personnes de 14 pays, âgées de 20 à 70 ans : « J’ai le plaisir d’accueillir nos amis syriens. Je vais vous donner les règles pour ce soir : tous les savoirs se valent, il n’y a pas de petits et de grands savoirs. Vous parlez et laissez parler. Pas de propagande, vous respectez les idées et modes de vie de chacun. Pour cette soirée vous changez de groupe, de table quand vous voulez. Le thème de ce soir porte sur l'actualité de vos pays d’origine : Quelles sont les bonnes nouvelles ? Qu’est ce qui est important pour vous ? Quel sujet devrait être à l’agenda du monde ? »
Nous sommes une dizaine autour de la table, le bourdonnement ambiant nous oblige à nous rapprocher pour nous entendre. Jacques parle des vendanges à Bordeaux qui lui rappellent son enfance Après quelques minutes nous passons à des sujets très sérieux : la guerre en Syrie. Sarah nous fait part du manque de sa famille dont elle n’a plus de nouvelles, de son espoir de revenir chez elle, de son besoin de partager pour combler ce vide. Très vite, le bruit environnant aidant, nous n’écoutons plus que nos voisins proches. Nous nous retrouvons à trois. Pierre nous parle du passage de sa famille par l'Algérie et de son retour en France. Nous allons rejoindre Samir qui parle de lui et de ses besoins de rencontrer des gens pour supporter la vie actuelle. Là aussi, le sujet du jour est oublié et chacun se met à raconter ses origines, sa vie. Nous échangeons avec de jeunes chinois, Feng et Choui, qui font leurs études dans la finance. Ils nous parlent de leur retour en Chine dans deux ans, de leurs espoirs. Ensuite nous nous retrouvons à trois à parler de la vie en France, de l’accueil des peuples migrants, nous nous mettons à leur place.
Vous avez dit parole
Nous remarquons qu’Hicham a quitté son téléphone et parle à ses voisins. Le café-langues commencerait-il à faire effet ? Autrefois, on refaisait le monde autour du zinc entre proches en buvant un verre. On y retrouve encore les nostalgiques mais aussi les accros du téléphone portable. C’est certainement insuffisant dans notre société. Aussi, depuis quelques années, les cafés thématiques (langues, philosophie, vie collaborative,..) ont fait leur apparition pour se centrer plus sur l’échange et la dimension multiculturelle, multiethnique. Le village est devenu plurinational. Les cafés-langues : un lieu d’échanges pour ceux qui ont soif de paroles ?
Patrick Dauga