Au détour des tours

Du Moyen-âge à nos jours, l’itinéraire inattendu du plus ancien édifice talençais.

Par Agnès  Le Gall 

 

Façade du château de Thouars

Au sud de la commune de Talence, jouxtant l'ancienne forêt royale, le Château de Thouars, au style à la fois néo-gothique et moderne, trône aux côtés d'un quartier populaire ultra contemporain. Acquis par la municipalité en 1957, il interroge et dissimule quelques “tours” dans son sac.

L’ensemble formé au fil du temps par cette demeure aristocratique et les immeubles d’habitat locatif semble s’être accommodé de cet anachronisme : le charme original et discret de la bâtisse opère et se fond dans le décor, derrière de grands chênes et un cèdre du Liban plusieurs fois centenaire. Si son histoire riche et méconnue nous transporte à travers plusieurs siècles, lorsque d'illustres têtes couronnées venaient principalement pour pratiquer la chasse, il se distingue de nos jours par son bois et son rôle socio-culturel au sein de cette zone périurbaine à forte densité démographique.

 

Pavillon de chasse

Le château occupe en partie l'endroit où fut érigée une bastide en 1287 sous Édouard III d'Angleterre. Ce projet urbain, qui symbolisait alors la puissance anglaise en Guyenne, eut une brève existence. Aussi a-t-elle joué davantage le rôle de pavillon de chasse pour les derniers rois-ducs.

 

« Vu du ciel, on devine l'ancien chemin emprunté par les monarques dans ce qui était alors l'immense forêt de Thouars », indique Marjorie Trognon, attachée de conservation à la mairie de Talence. Le peu d’indices archéologiques et de traces historiques médiévales font que l’aventure du domaine et du château ne commence pour nous que vers le milieu du XVIe siècle. 

Joueur de cornemuse

Etang que longe un chemin de randonnée

Hôtes de prestige

En grande faveur à la Cour pour s'être illustré à plusieurs reprises lors de différents conflits armés, Bertrand d'Agès, issu d'une famille connue à Bordeaux depuis le début du XVe siècle, se porte acquéreur de la propriété.

Son successeur Pierre II d'Agès, sous-maire de Bordeaux à plusieurs reprises, fait bâtir en 1505 une véritable place forte, réputée la plus belle de la région. Cette construction comprenait quatre grosses tours. Comme elles, ses remparts étaient crénelés et l'ensemble en faisait une bâtisse aussi massive qu’impressionnante.

Cette famille eut le privilège d'y recevoir notamment François 1er. Sa mère, Louise de Savoie, immobilisée par la maladie, dut s'arrêter à Thouars en 1530.

Un certain Henri de Bourbon, âgé de douze ans et futur roi Henri IV, séjourna également au château en avril 1565. 

Des raisins et de la colère

Les propriétaires se succédèrent au gré des siècles et de l'histoire tourmentée du château. Alain Champ, rédacteur dans le bulletin n°7 de l'association Mémoire et Patrimoine de Talence, signale que Jean-René Tarteyron, qui devint propriétaire en 1788, « n'avait pas fait le bon choix en achetant cette noble maison qui va lui causer beaucoup de soucis et lui coûter fort cher ». À cause des événements révolutionnaires, il ne s'installera qu'en 1791. Pendant ce temps, les paysans ont pillé et en partie brûlé le château, y compris le lit où avait couché Charles IX.

Ce propriétaire était issu d'une riche famille de négociants protestants du Languedoc et possédait, autour du château, un domaine viticole de 80 ha qui n'existe plus de nos jours. Cependant, le linteau du portail en fer forgé porte toujours le T stylisé en belle majuscule de Tarteyron. Les vignes du cru éponyme fournissaient environ soixante tonneaux de vin rouge.

Il est certain qu'après de nombreuses transformations, la demeure ne ressemble plus à ce qu’elle était au XVIe siècle, mis à part deux de ses tours médiévales1. Sa restauration en 1866 par la famille Balguerie lui rendra son lustre et fera s’interroger Maurice Ferrus, historien et journaliste bordelais2 :« Combien savent qu’ils possèdent une œuvre inestimable de Louis, le génial architecte du Grand-Théâtre ? »

Durant la seconde guerre mondiale, les Allemands réquisitionnèrent le monument et rasèrent la partie centrale de la forêt pour construire un bunker à l’aide du bois récolté. Cet ouvrage militaire défensif est toujours visible actuellement. « En revanche, tout comme le château, il ne se visite pas », précise Marjorie Trognon.

 

Écrin de verdure

Aux côtés de l’œuvre évoquée par Maurice Ferrus, la forêt royale a toujours joué un rôle prépondérant durant plusieurs siècles. En raison certes du goût des différentes cours royales pour la chasse3 mais aussi pour l'exploitation et le commerce du bois. Puis, de défrichements en implantations d'habitats permanents, celle-ci verra la naissance d'une nouvelle paroisse : Talence.

Le bois de Thouars actuel, d'une superficie de 30 ha sur les 71 que compte le domaine, est inscrit en Espace boisé et en zone naturelle d'intérêt national. Marjorie Trognon ajoute : « Il est aussi le plus grand bois de la métropole ». Un sentier botanique de quatre kilomètres permet de découvrir de rares essences protégées comme le chêne tauzin, ainsi qu’une flore très particulière comme la néottie nid-d’oiseau (une orchidée sauvage sans chlorophylle), et l’hottonie des marais, également appelée millefeuille aquatique.

Cet écrin de verdure abrite également une faune sauvage commune composée de lapins, d'écureuils, de buses ou encore de piverts mais aussi d’espèces remarquables comme le martin-pêcheur et la pipistrelle. C'est un endroit rêvé pour qui veut s'oxygéner à l'occasion d'une belle promenade et nombre d'habitants viennent y pratiquer le running.

Par ailleurs, chaque année au mois de juillet le festival gratuit En plein arts fait se rencontrer petits et grands auprès des arbres. La population du quartier et plus généralement les Talençais peuvent s’y divertir lors d’un week-end consacré aux arts de la rue et à la nature.Cohabitation

Toute la vie du quartier s'est trouvée améliorée grâce à l'achat par la municipalité de cet édifice et du territoire laissés à l'abandon par les derniers propriétaires, la famille d'Ornella. Le château est aujourd'hui un lieu idéal pour l'organisation de mariages, de réceptions... À cet effet, la commune de Talence met à la disposition des associations et des particuliers plusieurs salles municipales. La SATA4 y dispense des cours de sculpture sur bois, de dessin et de peinture. Elle a reçu le Grand Prix 2024 de la ville de Talence. Le service économique de la mairie a créé à l’étage une pépinière d’entreprises talençaises et métropolitaines. Une crèche est également abritée en ce lieu. Ses jardins, réaménagés à la française, accueillent un feu d'artifice, des spectacles de cirque mais aussi un vide-grenier chaque année.

Notre époque s’est organisée autour et derrière les murs du Château de Thouars, qui n'est en rien complexé par son âge. D'ailleurs la ville reçoit en 2003 le Prix départemental des Rubans du patrimoine pour sa restauration. Ainsi, à l’image des siècles écoulés, fleurs de lys au ras du toit, blason, emblèmes de la baronnie et autres drôleries très en vogue au XIXe siècle se partagent sa façade et ses tours médiévales aux côtés de constructions bien plus récentes. C’est dans un ensemble qui sort de l'ordinaire que ces pierres et ces arbres continuent de nous parler d'hier et d'aujourd'hui.

 

1 En 1835 Mme veuve Tarteyron fait relever les tours primitives. Son époux, décédé en 1822, est inhumé sur le domaine.

2 Né et décédé à Bordeaux (1876-1950), Maurice Ferrus était un journaliste pour l'essentiel au quotidien “La petite Gironde, spécialisé dans l'étude de l'histoire de Bordeaux et de Talence.

3 Le fils aîné d'Édouard III Plantagenêt, Édouard de Woodstock, plus connu sous le nom de Prince Noir (en raison de son armure noire et or), vint chasser dans la forêt royale où abondait le gibier au milieu du XIVe siècle. 

4 SATA : Société Arts Talence Aquitaine 

Feu d'artifice estival au château de Thouars

Encadré : Social et solidaire 

C'est en 2001 que la mairie inaugura, sur le vaste territoire de Thouars, de nombreux aménagements. Au cœur de l'espace boisé, se trouve notamment le stade Pierre-Paul Bernard où se déroule chaque année le Décastar : célèbre compétition d'athlétisme. Non loin du stade nautique rénové, à proximité du château, se trouvent un café et une médiathèque hébergés dans le Dôme : tiers-lieu solidaire et culturel de la cité talençaise. Y sont proposés de nombreux spectacles de théâtre et de musique, des conférences et des débats. La Maison des solidarités, juste à côté, regroupe des associations comme les Restos du cœur ou le Secours populaire.