Le magicien des arbres

Dans les vignobles du Bordelais, on cultive l'art contemporain :  à Martillac, sous la caresse de bois sculptés par José Le Piez, naissent des chants d’oiseaux.

Par Andrée Melet

Si le château Smith Haut Lafitte, à Martillac, est réputé pour la qualité de ses vins cultivés en bio et biodynamie, il souhaite aussi associer culture, art et nature. Collectionneurs d’art, les propriétaires, Daniel et Florence Cathiard proposent dans les vignes un véritable musée à ciel ouvert que domine le lièvre, sculpture de Barry Flanagan et emblème de la maison. José Le Piez, créateur des Arbrassons, sculptures sonores taillées dans le bois, y dispose d’un atelier et Florence Cathiard lui ouvre les portes de la Forêt des Sens. Sur huit hectares, sept essences d’arbres cohabitent harmonieusement avec des œuvres d’artistes locaux ou internationaux. Pour le sculpteur, c’est un univers fabuleux où il réalise des œuvres que l’on découvre au cours d’une déambulation visuelle, sonore et sensitive. Le parcours est balisé par un fléchage figurant le lièvre.

 

Écouter, voir et sentir

Des sculptures de José Le Piez jalonnent donc la forêt magique où la lumière chatoyante joue à travers le feuillage. À la place du chêne multicentenaire, se dresse désormais une rivière verticale suggérant le cours de l’eau de la terre vers ciel tandis que le chêne-liège, victime de la tempête, offre son écorce rugueuse à la main des promeneurs. La traversée d’un ruisseau sur un pont flottant teste notre équilibre et nous conduit devant l’île aux sons où les bois d’origines diverses s’entrechoquent sous la poussée de la main créant une harmonie aux sons variés. Plaisir auditif aussi avec les spiralines sonores : tubes de cuivre s’enroulant autour d’arbres et se terminant par un sifflet en forme d’oiseau qui ne demande qu’à chanter. Nous arrivons au belvédère de la Contemplation, petite pause avec vue sur les vignes. C’est le « Écouter-Voir » de l’artiste. Avec la découverte des Arbrassons, à l’invitation du guide, les mains glissent sur les bois jusqu’au jaillissement de sons inattendus. « Je suis de plus en plus sensible aux rapports du son avec les volumes, les matières et l’espace, mon oreille en est comme aiguisée. » commente l’artiste. La balade se poursuit jusqu’au jardin des senteurs oubliées où l’odeur des plantes aromatiques et de la menthe-chocolat nous accueille sous le regard du buffle de bois, gardien du lieu. À la fin du parcours, nous arrivons à l’atelier du sculpteur de sons.

 

 

Suivez le lièvre pour une promenade libre

Le belvédère de la contemplation

Instruments à caresses

Niché entre bois et vignes, cet atelier, mis gracieusement à disposition par les propriétaires, renferme les Arbrassons, totems de bois brut ou polis aux sonorités différentes : ainsi, la voix du cèdre du Liban est plus grave que celle du wengé au timbre plus aigu.
Lorsque José Le Piez caresse l’une de ses œuvres, c’est une envolée d’oiseaux qui s’échappe de ses doigts. « On connaît les instruments à vent, à percussions mais pas à caresses souligne-t-il. Au fil de mes recherches et avec l’aide du musée de l’Homme et du musée des Arts Premiers à Paris, j’ai rencontré un équivalent ethnique : le Livika, instrument traditionnel des tribus forestières en Papouasie Nouvelle-Guinée. Il est utilisé dans des cérémonies à la mémoire des ancêtres. Il est exposé au Musée du quai Branly, j’ai pu en jouer, j’étais très ému. » ajoute le sculpteur de sons.

Le wengé, bois dense et très sombre est un arbre sacré pour les tribus Bakas du sud-est du Cameroun. Par l’intermédiaire d’un chercheur au CNRS, José a fait don d’un Arbrasson à un jeune pygmée Yengo. Il recevra en retour une vidéo le montrant jouant de cet instrument dans la forêt1. Pour le sculpteur de sons : « Parler du bois c’est parler des arbres. Chaque tronc, chaque branche porte l’empreinte d’une vie qui raconte le grondement sourd de son terroir, le crépitement des étoiles vers lesquelles pulsent les bourgeons. »

Avec le désir de faire partager cette expérience, José Le Piez et sa compagne, Patricia Chatelain, forment un duo appelé Angeli Primitivi qui se produit dans des concerts. C’est à Uzeste, au festival de Bernard Lubat que José fait ses premiers pas sur scène. D’autres voix et instruments viennent se joindre aux Arbrassons : ceux de Beñat Achiary, d'André Minvielle ou de Michel Etchekopar2.

 

L'énergie des arbres

Le duo ne se contente pas de concerts, il propose une déambulation en forêt pour qui souhaite se reconnecter avec soi-même et oublier le stress généré par la vie citadine en pratiquant le bain de forêt.

Pratiqué au Japon il est reconnu comme une médecine préventive depuis 1982 et se développe en Occident. L’expérience consiste en une marche lente et silencieuse animée par des exercices de Qi Gong (posture de l’arbre) favorisant le contact avec la terre jusqu’à capter l’énergie de l’arbre en l’enserrant dans ses bras. Si, au début de l’expérience, les participants émettent quelques doutes, ils en ressortent étonnamment apaisés.

Suivre José Le Piez dans ce parcours Land Art, c’est entrer dans un univers poétique et sensoriel qui surprend et ravit. D’autres sculptures comme l’immense fleur de bois de Vincent Mauger, sculpteur bordelais, participe au charme de la forêt enchantée du château Smith Haut Lafitte. Il est possible de visiter la Forêt des Sens pour 16 euros : s’adresser à l’accueil du château, une clé vous sera remise pour une promenade libre et... suivez le lièvre !

 

Encadré Biographie

À travers son œuvre, José Le Piez s’inscrit dans une tradition familiale. Son grand-père, exploitant forestier lui transmet son amour et son respect des arbres. Il devient alors arboriste-élagueur de la ville de Paris, après être passé par l’école de magie comme illusionniste, puis maître de iaido, art du sabre inventé au Japon au 17e siècle dont la discipline restera au centre de ses expérimentations. « Du geste au volume, du sabre à la sculpture. » déclare l’artiste. Ses créations le font remarquer dans la Métropole : sculptures sonores à la piscine de Bègles, Mascaret qui fait la joie des enfants à la Fête du fleuve et que l’on peut voir aux Vivres de l’Art. Un disque Radio France Arbrassons, enregistré avec Benat Achiary est sorti en 2016.

 

1 Vidéo disponible avec you tube sur le site de José Le Piez 

2 Musiciens d’origine basque travaillant en improvisation.