Le passé à portée de mains

Les membres de l'association La Fabrique de Guyenne
Les membres de l'association La Fabrique de Guyenne

En osant le pari du chantier médiéval de Guyenne, Valéry Ossent nous invite à un incroyable voyage dans le passé au temps des bâtisseurs de cathédrales.

 par Dominique Beutis

 

Porter un rêve, y croire passionnément et le changer en réalité, c’est l’aventure audacieuse dans laquelle s’est lancé Valéry Ossent, ingénieur en BTP, chef de projet et président de l’association La Fabrique de Guyenne1, créée en 2018. Après cinq ans de travail acharné, le coup d’envoi du projet a été donné en octobre 2023. Son objectif ? Raconter l’histoire des bâtisseurs de cathédrales en proposant un chantier-école grandeur nature et en temps réel. Sous les yeux des visiteurs, un ensemble architectural inspiré du Moyen-Âge verra le jour à La Lande-de-Fronsac2. Les savoir-faire issus de l’époque médiévale présideront à sa construction. Quatre cents ans d’histoire seront illustrés au fil des travaux. Le projet d’insertion, associé au chantier, permettra aux plus fragiles éloignés de l’emploi d’envisager un nouvel avenir professionnel.

 

Un laboratoire des savoir-faire

Pour Valéry Ossent il s’agira de « retrouver les gestes et les outils de cette époque, ceux qui ont permis la réalisation de voûtes sur croisées d’ogive, d’arcs-boutants mais aussi de sculptures monumentales et de vitraux baignés de lumière ».

Aujourd’hui l’association compte une douzaine de professionnels du patrimoine : maçons, tailleurs de pierre mais aussi historiens, architectes, archéologues, enseignants, artistes. Elle s’appuie par ailleurs sur un conseil scientifique qui la guide dans ses choix… 

L’idée est d’être « une sorte de laboratoire historique, de conservatoire du savoir-faire et d’opérer cette transmission non seulement en interne sur le chantier mais aussi auprès du grand public » explique Valéry Ossent.

Deux ambitions fondent le projet.

Ambition culturelle d’une part : montrer au public ce qu’était un chantier de bâtisseurs au Moyen-Âge de l’époque préromane à l’époque gothique.

Ambition sociale d’autre part : former des personnes n’ayant pas, initialement, de compétence dans le domaine concerné, souvent en difficulté, et leur redonner confiance en elles en participant au projet.

« Aujourd’hui les métiers du patrimoine sont en tension Il y a pourtant des opportunités, du travail, des centres de formation, des entreprises qui recrutent, des chantiers magnifiques. Il s’agira donc pour nous de valoriser ces atouts et sur le long terme d’y ramener les jeunes » insiste Valéry Ossent.

 

 

Participation des apprenants du centre AFPA de Bordeaux(formation professionnelle adultes) en novembre 2023. A droite, ValeryOssent, président de la Fabrique de Guyenne

Un site patrimonial

Après la découverte des chantiers de la frégate Hermione à Rochefort et du château de Guédelon en Bourgogne il y a plus de dix ans, Valéry Ossent rêvait d’un projet où l’aspect patrimonial prendrait toute sa place « rajouter de l’histoire à la construction avec des matériaux naturels, des techniques anciennes » Et l’ouverture au public le tentait beaucoup.

En 2018, il consacre six mois à étudier la faisabilité du projet : compétences, savoirs faire, intérêt partagé, soutien politique d’une commune…Il rencontre alors Jean Galand, maire de La Lande-de-Fronsac. Outre l’intérêt réel de ce dernier pour le projet, il pouvait en outre proposer sur la commune un terrain de quatre hectares, disponible et constructible. Il fallait un site accessible, à moins d’une demi-heure de Bordeaux, pour faciliter l’accueil du public et des écoles notamment. La Lande-de-Fronsac, territoire agricole doté d’un patrimoine, répondait à ces critères avec l’atout supplémentaire de se trouver à mi-chemin de deux sites Unesco : Blaye et Saint Émilion. Enfin explique Valery Ossent « notre projet social d’insertion professionnelle devait s’implanter dans un lieu où il y a des besoins en emploi, des entreprises qui recrutent. C’est ici le cas. Nous serons la première structure d’insertion à exister en Fronsadais. »

 

Un challenge technique

Dans un premier temps il y aura la construction d’une petite chapelle préromane du XIe siècle, puis les fondations d’une église romane du XIIe siècle, un cloître avec quatre galeries et des bâtiments conventuels. « Pour rester fidèles à l’aspect pédagogique, nous prévoyons de construire selon un ordre chronologique une galerie romane, une galerie gothique primitif, une troisième, gothique rayonnant et une dernière, gothique flamboyant, apogée de la technique en termes de taille de pierres et de construction. Les visiteurs auront ainsi des éléments de lecture sur l’évolution des techniques de construction »

Enfin l’édification d’un édifice gothique d’une hauteur de vingt mètres sous voûtes clôturera le projet. « Pas dans de course à la hauteur comme cela se faisait au Moyen-Âge mais il sera suffisamment haut pour représenter un challenge technique. »

Les travaux sont prévus sur plus d’une quarantaine d’années. Leur durée dépendra du nombre de personnes travaillant sur le chantier. En effet, « notre fil conducteur c’est le travail manuel, nous ne disposerons que de machines en bois qui ne permettront pas d’accélérer le chantier. Nous nous exposerons aux mêmes difficultés que celles rencontrées à l’époque. »

 

Des artisans mobilisés

Si l’expérience et le savoir-faire des bâtisseurs de cathédrales ont traversé les âges, ils tendent aujourd’hui à disparaitre. Le challenge consiste à en retrouver le maximum. Cela passe par l’étude du bâti existant, les particularités régionales, l’apport des historiens. Les questions se posent au fur et à mesure de l’évolution du chantier et en fonction des données liées à l’époque concernée. Il faut donc trouver le juste milieu, ajuster des solutions adéquates et utiliser au mieux les ressources locales. Pour Valery Ossent « en fait c’est beaucoup de bons sens ». Les normes de sécurité seront bien sûr respectées comme sur un chantier d’aujourd’hui et comme elles l’étaient au Moyen-Âge selon des méthodes simples et efficaces.

Aujourd’hui, l’association mobilise des maçons, tailleurs de pierre ; très prochainement des charpentiers, des couvreurs des forgerons. Un peu plus tard viendront les métiers d’art liés à la construction : vitrailliste, ferronniers, ébénistes, fresquistes, sculpteurs. Enfin des métiers liés à la vie du chantier : cordistes, potiers, vanniers…Elle emploie actuellement un ouvrier spécialisé et un chef de chantier ayant quitté celui de Notre-Dame de Paris pour se consacrer au projet girondin.

Le principal souci aujourd’hui est de trouver les fonds pour recruter les postulants au demeurant nombreux. L’ouverture au public à l’été prochain, avec parcours de visite, ateliers, échanges, manipulations, aidera à faire vivre le chantier. Vingt-mille visiteurs sont attendus dès la première année. Aujourd’hui, l’association ne dispose pas de ressources propres et fait appel aux dons, au mécénat (fondations d’entreprises) et aux subventions (État, région, département). Enfin le bénévolat est important.

Déconstruire ses connaissances pour retrouver l’esprit des bâtisseurs d’antan, comprendre pleinement la démarche et les évolutions techniques qui ont prévalu à leur quête incroyable de hauteur et de lumière sont autant de défis à relever pour glisser d’un rêve du passé à la réalité.

 

1 La Fabrique de Guyenne : au Moyen-Âge, le terme fabrique désignait les organisations en charge des chantiers cathédraux.

2 La Lande-de-Fronsac : commune du Nord Gironde, canton du Libournais-Fronsadais 2 659 habitants.